Brexit J-38 : la Grande-Bretagne, ça vous gagne

Depuis le 23 juin 2016, jour où les résultats du référendum sur l’appartenance de la Grande Bretagne à l’Union Européenne sont tombés, on n’entend parler que de ça. Le Brexit. Alors que la sortie officielle du Royaume Uni, prévue le 29 mars 2019, se rapproche à grand pas, et qu’il n’y a toujours pas l’ombre d’un accord entre les îles britanniques et l’UE pour négocier cette sortie, la tension monte entre Londres et Bruxelles. Mais alors, les Anglais, ils en pensent quoi du Brexit ? Les médias français ont surtout traité du cas des immigrés européens au Royaume-Uni, ou des Britanniques habitant dans d’autres pays d’Europe. Or, les principaux intéressés, les Britanniques vivant en Grande Bretagne, ont été remarquablement absents des plateaux télés, interviews, et autres articles.

Ayant eu la brillante idée de partir en Angleterre l’année du Brexit (pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué, am I right ?) , je me suis dit que j’allais tenter le coup, et aller leur poser, moi, cette question : et vous, qu’est-ce que vous en pensez du Brexit ? Munie d’un casque de protection et de petites images de licornes au cas où mes interlocuteurs se montreraient trop violents sur le sujet, je suis donc partie mener l’enquête en terres anglaises…

Rappelez-vous : au lendemain du référendum, lorsque les premiers résultats ont commencé à faire le tour de la toile, le constat était sans appel : 51,9% de la population indiquait être pour une sortie de la Grande Bretagne de l’UE. La division des votes, sans surprise, révélait que les grandes agglomérations, notamment celle de Londres, avaient voté massivement pour rester dans l’Union, ainsi que l’Écosse et de façon générale la frange la plus jeune de la population. La campagne anglaise et les plus âgés ont voté pour en sortir, suivant la tendance habituellement constatée en terme de vote anti-européen. Mais qu’en est-il aujourd’hui ? Maintenant que les Britanniques, et notamment les Anglais, se sont rendu compte des conséquences dramatiques qu’une sortie de l’UE pourrait avoir sur leur économie, une partie de la population s’est rétractée : en novembre 2018, une enquête a démontré que 54% des Britanniques souhaitaient désormais rester dans l’Union. Cependant, 46% des Britanniques soutiennent toujours une sortie de l’UE, même s’ils sont divisés sur la stratégie à adopter. Cette polarisation de la société anglaise a pour conséquence un blocage qui dure depuis plusieurs mois autour de tout ce qui concerne le Brexit. Dernier problème en date : le vote sur l’accord de sortie que la première ministre Theresa May avait difficilement conclu avec l’UE : celui-ci a été refusé. La brèche constatée, séparant de façon grandissante les deux camps dans le débat, est l’un des premiers points que les Anglais amènent lorqu’on leur demande leur avis sur le Brexit : beaucoup trouvent toutes les tensions autour de ce thème ridicules, et ont tendance à penser que l’Angleterre ternit sa réputation à l’international en ne sachant pas se décider. Certains souhaiteraient aussi tout simplement arrêter de parler du Brexit, qui occupe le devant de la scène depuis maintenant plusieurs mois. Cela ne veut pas dire que chaque camp est décidé à faire des concessions à l’autre : les partisans d’un no deal, d’un nouvel accord et d’un nouveau référendum campent sur leurs positions, empêchant le débat d’avancer.

Souhaitant avoir le point de vue d’un membre du corps professoral, je me suis tournée vers mon professeur de conférence en politique britannique, qui est qui plus est un chercheur dans ce domaine. Selon lui, les jeunes, plus spécifiquement ceux de l’université de Durham où il travaille, sont en majorité pro-maintien dans l’UE, même si certains supporters d’une sortie de l’Union sont très présents lors des débats. Cela semble donc être en accord avec les sondages au niveau national. De plus, il constate une tendance générale de baisse de confiance de la population envers les politiciens, liée notamment aux tensions autour du Brexit. Il est intéressant de remarquer que l’Union Européenne n’était pas un sujet au centre de la politique britannique jusqu’à la fin des années 1990, moment à partir duquel cela s’est transformé progressivement en l’un de ses thèmes centraux, alors même qu’en parallèle la notion d’une identité britannique revenait dans les débats. Le professeur considère que les discussions autour de l’Union Européenne sont en fait probablement les réceptacles de problèmes plus profonds, tournant autour des inégalités sociales, jamais pris au sérieux en Angleterre de manière satisfaisante. Les régions délaissées par le gouvernement trouvent en l’UE un bouc émissaire facile contre qui se défouler, et les élites anglaises pro-UE ne s’impliquent pas pour essayer de faire valoir leur cause.

Quoi qu’il en soit, aujourd’hui l’horloge tourne, et il reste peu de temps au gouvernement anglais pour trouver un accord avec l’Union Européenne et éviter une dérive économique annoncée. Comment cela va-t-il évoluer ? Impossible de le prédire, alors que le vote en faveur du Brexit a déjoué les pronostics de tous les spécialistes, mais gardons un œil sur la situation…

Eva Blondel