Portrait d’étudiant – à la rencontre de Mélissa

La Péniche revient avec un nouveau format d’article, où vous, les élèves de Sciences Po, êtes au cœur de ses colonnes avec des portraits hebdomadaires pour montrer la richesse de nos étudiants. Cette session commence avec le portrait de Mélissa, étudiante en première Année.

photo de Laure Alanier
Photo de Laure Alanier

« Quand on vit dans une banlieue, on voit toujours pire que soi. »

J’ai grandi en banlieue, à Aulnay-Sous-Bois. Pourtant, contrairement à ce que certains pourraient penser, je n’ai pas l’impression d’avoir manqué de quoi que ce soit, de ne pas avoir eu de chance. J’ai rencontré des gens géniaux, des professeurs qui croyaient en moi, des parents qui m’ont tout donné pour réussir. Ils se sont privés de plein de choses pour mon frère, ma sœur et moi : pour nos cours de solfège, pour notre confort, tout simplement pour que l’on soit heureux. Quand on vit dans une banlieue, on voit toujours pire que soi. Je me rappelle, quand j’étais petite, j’avais une amie d’enfance… Un huissier était venu chez elle… Ils avaient pris toutes ses affaires… Je le sais, moi, j’ai été très chanceuse : j’ai une famille unie, ils sont là pour me soutenir et me donnent envie de réussir. Je suis passée par la procédure CEP, et je sais très bien que sans mes parents, sans l’éducation qu’ils m’ont transmise, sans les sacrifices qu’ils ont faits, je ne serais sûrement pas là aujourd’hui. Quelque part, pour moi, c’est devenu un certain privilège de vivre en banlieue… Toute ma vie, j’ai pu fréquenter des gens de toute sorte : des gens plus ou moins pauvres, des personnes de toutes les ethnies, de toutes les religions… Grâce à ça, je vois les choses désormais sous un prisme différent. Certes, il ne faut pas être idéaliste, il y a un clivage important en banlieue. Il y a une concentration d’une pauvreté énorme dans un seul et même endroit. Mais justement, être confrontée à cela te force à apprendre plein de valeurs que je n’aurais pas acquises autrement.

« Tout ce que l’on traverse, ça fait de nous des gens très droits. »

Le partage est devenu inhérent à ma personne. Tu sais, personne n’a énormément d’argent, on se débrouille comme on peut au jour le jour. Dès qu’il faut payer, dès qu’il faut aider, on est là pour participer. C’est peut-être normal, mais ce sont des valeurs que tu es obligée d’apprendre en banlieue, par la force des choses. On voit tout cela depuis que l’on est tout petit, du coup on s’adapte. Ça fait partie de nos codes. Pour beaucoup de gens de banlieue, quand on fait les choses, on y met tout notre cœur et toute notre âme, sans relâche, avec une grande ardeur. Ça nous joue des tours parfois… C’est pour ça, je pense, que peu réussissent à s’impliquer en politique, c’est dangereux de mettre autant de sa personne dans ce genre de choses. Tout ce que l’on traverse, ça fait de nous des gens très droits. Le manque de respect, on ne le supporte pas ! Le respect mutuel règne partout. Mon objectif ultime, ça serait de devenir magistrat. C’est un métier qui permet de déployer une influence inouïe. Pour moi l’idée de justice est quelque chose de primordial. Toute ma vie, j’ai été bonne élève, j’ai souvent suivi ce que l’on me disait, j’étais très obéissante. Mais dès qu’il y avait des situations d’injustices (que ce soit contre le professeur ou contre un élève), je ne pouvais me retenir, il fallait que je réagisse. J’ai eu beaucoup d’heures de colle à cause ça. J’étais complètement ulcérée par l’injustice : dans les banlieues, on en voit tellement en permanence que lorsqu’on y est confrontés en dehors, on pète forcément des câbles…

Photo de Laure Alanier
Photo de Laure Alanier

« La seule chose dont je pense être persuadée, c’est que je suis tout aussi heureuse de ce que j’ai et de ce que je n’ai pas. »

Après je n’ai pas la prétention et je ne veux pas donner l’impression de parler au nom de toute la banlieue. Moi, mon vécu, ma personne, c’est une facette unique de ce lieu qui en comprend tant d’autres. Et heureusement ! La banlieue, c’est cette chose mouvante avec une identité multiple et avec des points de vue tellement variés. C’est difficile de résumer quelque chose en perpétuelle transformation. La seule chose dont je pense être persuadée, c’est que je suis tout aussi heureuse de ce que j’ai et de ce que je n’ai pas. Je n’ai pas eu tout ce que je voulais… Et je suis reconnaissante pour ça. Si je devais tout recommencer, je pense que je choisirai de revivre tout ce que j’ai traversé. Dans cette même banlieue à Aulnay-Sous-Bois, avec les mêmes personnes et les mêmes matraques… Avant d’entrer à Sciences Po, ma grande peur c’était de changer, d’entrer dans un moule qui modifierait ma perception du monde et mon être. Et maintenant, au contraire, j’ai l’impression de me construire à l’opposé de cette école, c’est assez amusant. Je ne dénigre en rien ce en quoi elle repose mais j’ai juste envie de rester moi-même. Et je sais, des fois, j’ai repris certains de leurs codes : mais bon, j’aurais toujours mes amis et ma famille pour me rappeler d’où je viens. »

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