Au Revoir Là-Haut, du Goncourt au grand écran

À quelques jours de la sortie en salles de l’adaptation cinématographique d’Au Revoir Là-Haut, nous avons décidé de vous expliquer pourquoi il est nécessaire de (re)lire ce roman de Pierre Lemaitre avant d’aller le voir au cinéma. L’oeuvre, qui a permis à son auteur d’obtenir le prix Goncourt en 2013, nous montre que si la guerre est inhumaine, la paix ne l’est parfois pas moins. Six cents pages décrites en six cents mots : la contraction est audacieuse, mais nous l’avons tout de même effectuée. Résumé ( et critique ) d’un roman qui n’a pas fini de faire parler de lui.

2 Novembre 1918, France. La guerre est à quelques jours de s’achever, et si beaucoup le pressentent, ce n’est pas encore une vérité actée. Les heures s’écoulent, dans l’attente d’une bataille qui ne viendra sans doute plus jamais.
Soudain, le chaos ressurgit. Il est d’autant plus violent qu’on ne l’imaginait plus possible, et manque d’emporter Albert et Edouard, deux soldats parmi d’autres qui se sauvent mutuellement la vie. Les deux hommes survivent, mais ils ressortent du conflit passablement détruits. Et il n’y a pas que le visage d’Edouard qui soit détruit, non, c’est même leur statut de membre de la société qui se voit remis en question. 

Louer les morts, oui. Considérer les survivants avec autre chose que de l’effroi, c’est tout de suite moins facile dans la France de l’après-guerre. 

Mais une idée aussi folle que révoltante et exaltante germe bientôt dans l’esprit d’Edouard. Cette idée, c’est le projet d’une escroquerie d’envergure nationale. Une façon de s’approprier une exclusion jusque-là subie ? Un élan de passion dans une vie désormais consacrer à se cacher ? La seule issue possible à l’abattement qui guette les deux compagnons d’infortune ? Peu importe la raison, voici déjà Albert et Edouard pris dans l’enthousiasme de leur aventure… qu’ont-ils à perdre, vraiment ? 

Une oeuvre cynique et résolument intelligente

Pierre Lemaitre accomplit la petite prouesse de livrer un roman à la fois dense historiquement, riche dans son écriture, généreux dans les portraits de personnages qu’il délivre, captivant dans son intrigue, saisissant dans son atmosphère et, disons-le enfin, bouleversant dans sa globalité. ( Oui, quand j’aime un livre, j’y vais franchement. ) Les scènes extraordinaires de vivacité se succèdent à un rythme par lequel on ne peut que se laisser entraîner, de sorte que l’on ne voit même pas défiler les plus de 600 pages de ce qui est, il faut l’admettre, un beau pavé. 

On se prend d’intérêt et de passion pour une histoire tantôt lyrique, tantôt amorale, toujours cynique et résolument intelligente. Lemaitre porte un regard acéré sur une société pétrie d’hypocrisie et de chagrin, deux ingrédients qui ne font pas bon ménage l’un avec l’autre. En larguant ses deux protagonistes dans un milieu aussi cruel, il déroule un récit qui prend à la gorge, révolte, émeut, bref, fait passer par tout le spectre des émotions. 

Deux êtres unis par leur solitude

Le désenchantement de toute une génération n’aura jamais été aussi bien incarné que par les figures complètement opposées et pourtant curieusement semblables d’Albert et Edouard, le premier modeste et timide comptable, le second artiste de génie issu d’une famille privilégiée, qui se retrouvent à partager quelques mètres carrés dans une chambre de bonne. On s’attache d’autant plus à ces protagonistes – qui n’auront jamais aussi bien porté leur nom, puisque protagoniste signifie étymologiquement « premier combattant » – que le reste du monde les rejette, alors qu’autour d’eux, déjà, certains opportunistes réécrivent l’histoire et plongent déjà tête la première dans de sombres manigances. 

Le tout se lit avec un plaisir non dissimulé, au gré d’une plume joueuse et vive qui s’approprie avec talent les mots de l’époque. L’écriture parvient à ce niveau rare qui la fait paraître simple, parce que très travaillée. Difficile de résumer enfin ce qu’il subsiste de ce roman une fois la dernière page tournée : une profonde tristesse, certes, un certain dégoût devant tant de cruauté, mais aussi un inexplicable sentiment de légèreté. C’est dur, c’est cru, mais c’est aussi inexplicablement entraînant et irrésistiblement ironique. 

Albert et Edouard jouent, dans une danse qui peut-être parfois macabre, mais qui demeure l’unique moyen pour eux de tenir bon. Et on n’a d’autre choix que de rentrer dans leur ronde mélancolique et belle à la fois, le cœur serré mais le regard tourné vers l’avenir. 

Vous pourrez découvrir en salles l’adaptation cinématographique du roman Au Revoir Là-Haut dès le mercredi 25 octobre prochain.  L’adaptation est réalisée par Albert Dupontel.