Balzac retourne Boutmy

N’avez-vous jamais imaginé un père Goriot fredonnant Yesterday à la guitare quand Mme de Beauséant s’impose comme diva et reprend Beyoncé ? Probablement pas, moi non plus d’ailleurs. Pourtant, « la comédie humaine » relève le défi !

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Il est légitime d’être un peu dubitatif quand un groupe d’étudiants adapte Balzac en comédie musicale… Chacun se remémore des souvenirs de lecture douloureux et des descriptions poussives. Mais à l’occasion de la semaine des arts du Bda, la pension Vauquer s’offre un lifting jubilatoire ! Le scénario est étonnement bien ficelé, l’écriture pleine d’esprit et de second degré. Des références à la limite du bon goût pointent parfois, et même mon voisin « encravaté » rit devant l’adaptation hallucinée.

C’est évidemment la musique qui prend une place de choix. Les chansons à la variété déconcertante se bousculent, dans plusieurs langues, impertinentes ou poignantes. Elles n’en sont pas moins parfaitement imbriquées dans l’intrigue. Mes vertèbres agonisantes sur les bancs de Boutmy oublient même leurs convulsions anxieuses quand Rastignac ou Vautrin tiennent la note. Quelques morceaux de chant marquent particulièrement, remarquablement exécutés, je dirais même qu’ils laissent sans voix (hum hum).

On n’oublie pas non plus la danse ! Là aussi le niveau frappe, et la synchronisation assez irréprochable laisse imaginer de longues heures de travail. Qu’elles soient Delphine ou Anastasie, le public se laisse inévitablement envouter par les sirènes survitaminées. Une sensualité inconnue des planches de Boutmy électrise la salle. Les mariages arrosés au mousseux se rappellent bientôt à nous via des sons passés mais toujours réjouissants.

Les personnages de Balzac sont bien sûr mis à l’honneur, plusieurs parviennent même à surprendre radicalement. L’adaptation est sans prétention, légère et vive ! Les costumes et la scénographie n’en sont pas moins exceptionnels, surtout quand on se rappelle le lieu du spectacle. Notre amphi historique se prête effectivement plus aux cours fastidieux qu’aux déhanchements fiévreux.

Avec près de deux heures de show, l’amphi bouillonne, la comédie feint de se terminer, et la salle se lève frénétiquement. Nous sommes loin des applaudissements de cours magistraux, même pour un Yann Algan ! Rétrospectivement, je m’étonne de mon état, sensiblement proche de celui des centaines d’étudiants réunis : trépignants et enthousiastes, lobotomisés de fantaisies.

S’il fallait encore vous en dire sur cette soirée, j’ajouterais que mercredi, même Frédéric Mion était en Boutmy. Les prochaines représentations seront les vendredi 12 avril (cité U, maison Deutsche de la Meurthe, gratuit), et 26 avril (amphi Boutmy, 19h). C’est un moment immanquable que cette comédie musicale donc, entre professionnalisme et dérision, un morceau de divertissement qui nous élève, pour reprendre une chanson dont la sélection stupéfait elle-aussi, « on the edge of glory ».