Billet d’opinion : le problème avec les lobbies

Partout dans le monde, les industriels et les corporations tentent d’influer sur les décisions politiques afin qu’elles les avantagent et protègent leurs intérêts. Mais en France, plus qu’ailleurs, ces pratiques posent problème, et l’influence grandissante des lobbies menace la démocratie.

Si l’on observe la situation aux États-Unis, où le lobby des armes est extrêmement puissant, ou au Parlement européen, il n’est pas difficile de se rendre compte que les milieux privés et politiques se mêlent assez facilement tout autour du monde et qu’ils se livrent  à une bataille d’influence. Cependant, aux États-Unis comme dans l’Union Européenne, la participation des lobbies à la création de loi est institutionnalisée. Des règles sont mises en place, qui permettent d’éviter les débordements, et qui assurent une participation équitable des lobbies, des représentants de la société civile, et des membres des instances étatiques, au débat.

En France, ce n’est pas le cas. Les seules restrictions imposée aux groupes de pression sont l’obligation de s’inscrire sur un registre lorsqu’ils exercent une influence sur les pouvoirs publics, et le respect de certains principes, comme celui de ne pas user de la corruption. Pourtant, ils ont une grande emprise sur la classe dirigeante et c’est précisément ce qui pose problème. Sans un vrai cadre juridique pour réglementer leur influence en politique, ces lobbyistes empruntent des chemins plus ou moins institutionnels pour arriver à leurs fins. Ils font leur travail via leurs cercles privés notamment, ce qui leur donne une amplitude d’action bien plus grande et bien moins respectueuse des principes de la démocratie.

En clair, le fait que les représentants industriels doivent jouer de leurs relations personnelles pour faire valoir leurs intérêts leur permet d’éviter les procédures administratives habituelles (ils déposent parfois eux-mêmes des amendements sur la table des parlementaires), et de s’incruster aux plus hauts niveaux de négociations. Ces écarts peuvent être considérés comme dangereux pour le bon fonctionnement de l’État français.

En effet, pour participer de manière active à la vie politique, il y a des règles à respecter : il faut être élu, ou nommé explicitement comme membre du gouvernement. Les lobbyistes ne passent par aucune de ces étapes pour y prendre part, ils usent seulement de leurs liens personnels avec des représentants du gouvernement ou des parlementaires. Leur présence dans les hautes sphères politiques, et plus particulièrement dans l’entourage des ministres et du président n’est donc pas légitimé par un quelconque procédé démocratique. Cette absence de légitimité est par ailleurs doublée d’une opacité totale concernant les méthodes des lobbies, qui exercent leur influence derrière porte close. Or, ceci ne peut pas être accepté car en démocratie, les instances dirigeantes doivent être transparentes auprès des citoyens à propos de leur processus de prise de décision.

Mais passons outre l’aspect légal de la question : les bases mêmes de la République française ne permettent pas que des représentants industriels puissent participer à la gestion de la nation. En effet, le gouvernement français a toujours eu comme prérogative d’œuvrer pour le bien commun de l’ensemble des citoyens. À partir de ce constat initial, de nombreux intellectuels français ont ensuite théorisé cet intérêt commun comme étant l’intérêt du groupe entier et pas la somme des intérêts individuels. Comment se pourrait-il alors que les représentants d’industries ou de corporations, qui se battent pour leurs intérêts “privés”, puissent jamais prendre des décisions qui seraient bénéfiques pour la société dans son ensemble ?

Alors oui, « Macron, il aime bien les lobbies », comme aime à le rappeler Thierry Coste. Certains de ses collaborateurs proviennent de ce milieu, et une partie de ses ministres sont eux-même des ex-lobbyistes. La raison ? Notre président considère qu’il faut s’entourer de spécialistes, de gens qui connaissent le monde de l’entreprise pour être capable de prendre les meilleures décisions dans ce domaine. Mais il ne faut pas qu’il oublie que les lobbyistes ne sont pas des fonctionnaires. Ils sont là pour défendre l’entreprise, pas l’humain. Les écouter, leur demander leur avis sur la création et la mise en place de réformes qui les concernent, pourquoi pas. Mais leur donner une place si prépondérante que leur opinion fait loi, c’est mettre en danger l’appareil démocratique, et l’intérêt des citoyens. La démission de Nicolas Hulot, qui avait pourtant, avant d’être ministre, été un fervent militant de la cause écologique, permettra ainsi peut-être une prise de conscience, et un meilleur encadrement de l’action des groupes de pression, pour que le débat avec eux redevienne constructif.

Eva Blondel