Briser le plafond de verre de la diplomatie

Bon nombre d’étudiant.e.s se passionnant pour les relations internationales, la Péniche s’est rendue à la table ronde « Femmes dans la Diplomatie » organisée conjointement par les associations Politiqu’elles et Sciences Po Nations Unies. Trois diplomates aux carrières complémentaires sont invitées: Hélène Duchêne est l’actuelle représentante de la France à l’OTAN, et deuxième femme à occuper ce poste, elle a aussi été présidente de l’association « Femmes et Diplomatie ». Christine Robichon, spécialisée du Moyen-Orient, a occupé les postes de consule en Algérie et d’ambassadrice au Cameroun et au Sri Lanka, tandis que Miren Bengoa a travaillé dans les instances internationales de santé publique. Une conférence optimiste quant à l’accès des femmes aux fonctions de diplomate. Fut également abordé le sujet de leur perception par leurs collègues, mais aussi par le pays étranger qui les accueille, ainsi que la gestion de leur vie familiale dans un milieu où le dévoiement personnel est primordial.

 

De gauche à droite : Hélène Duchêne, Christine Robichon, Miren Bengoa

 

État des lieux en France

« Le jour où vous me proposerez pour un même poste une femme aussi laide, aussi antipathique, aussi incompétente, sans talent et sans relief que lui, on sera un peu plus près de la parité » déclara un jour Bernard Kouchner, ancien ministre français des Affaires Étrangères, au sujet d’un candidat à un poste dans la diplomatie. Les mots sont abrupts, mais ils dressent un certain état des lieux de la place des femmes dans les hautes fonctions diplomatiques. Historiquement, elles sont autorisées au concours du Quai d’Orsay en 1928 et Suzanne Borel devient la première diplomate quelques années plus tard. La première ambassadrice française est nommée quant à elle en 1972… Aujourd’hui, le bilan paraît beaucoup plus positif : 57% des fonctionnaires du Ministère des Affaires Étrangères sont des femmes. Néanmoins, seulement 25% des ambassadeurs sont des femmes, ce qui confirme la théorie du plafond de verre : de 66% en catégorie C, c’est-à-dire les postes de gestion, elles ne sont plus que 32% pour les postes de direction. Selon les témoignages des intervenantes, la situation est pourtant en nette progression.

« Parfois les gens s’opposent aux quotas, mais en fait ils sont très utiles : ils obligent à regarder les femmes »

Hélène Duchêne, représentante de la France à l’OTAN et deuxième femme à occuper ce poste, ancienne Présidente de l’association « Femmes et Diplomatie », a une expérience impressionnante de la diplomatie multilatérale. « L’important n’est pas de rentrer au Quai d’Orsay, mais d’y rester » déclare-t-elle. Les mesures de féminisation se sont multipliées, poussées par certains ministres comme Laurent Fabius. Par exemple, 40% des prénominé.e.s doivent être des femmes depuis la loi Sauvadet. D’après le Ministère, les jurys se sont aussi ouverts aux femmes : elles représentent 52% de ces effectifs.

Des préjugés qui s’invitent aussi au Quai

Mais c’est le premier départ qui marque souvent les abandons, une femme ayant en général plus de difficultés à changer son planning familial. Un bureau des familles au Ministère a donc été aménagé pour gérer certaines procédures d’expatriation, comme l’inscription des enfants à l’école. La vie des fonctionnaires est plus prise en compte. À titre d’exemple, des doubles affectations sont prévues dans le cas où le couple travaille au Ministère. Les nouvelles venues peuvent aussi bénéficier d’un tutorat avec un.e référent.e plus expérimenté.e pour démystifier le métier. Il faut de l’organisation et de l’imagination, notamment pour que le conjoint puisse trouver un poste dans le pays d’expatriation, mais, depuis des années, la gestion s’est beaucoup facilitée pour les femmes.

« Dans les sociétés patriarcales conservatrices où prévaut un certain mépris des femmes, une étrangère est perçue très différemment »

Christine Robichon prend alors la parole pour nous compter son expérience. Passionnée par le monde sud-méditerranéen, consule en Algérie, ambassadrice au Cameroun, au Sri Lanka… « L’Europe, ça ne m’a jamais intéressée ». A son entrée au Concours d’Orient, lors duquel 4 femmes avaient été nommées pour 4 hommes, l’on s’interrogeait : « Mais qu’allez-vous devenir, mesdemoiselles ? ». Sur les 4 hommes, aucun n’a terminé son parcours diplomatique, mais les femmes ont toutes poursuivi leur carrière dans le milieu. En fait, Christine Robichon a connu plus de préjugés provenant de ses collègues et de Ministères extérieurs au Quai d’Orsay que lors de ses missions internationales, tant la perception d’une femme étrangère est particulière dans certains pays. Craindre d’envoyer une femme au Moyen-Orient, selon elle, c’est faire preuve de préjugés racistes car l’on juge alors leur culture misogyne et rigoriste. Les mesures de sécurité étaient par ailleurs les mêmes pour les deux sexes. En réalité, la population féminine locale lui a livré des témoignages de satisfaction et voyait le respect d’une ambassadrice par les hommes comme un moyen de changer les choses.

Un fonctionnariat international plus précaire

Miren Bengoa a quant à elle travaillé dans les instances et ONG internationales de santé publique et d’autonomisation des populations, notamment à la FNUAP (acronyme peu connu du Fonds des Nations Unies pour la Population). Elle raconte un quotidien parfois délicat : les contrats sont très courts et de plus en plus précarisés à l’ONU, et les fonctionnaires n’ont pas droit aux indemnités de chômage à leur retour en France. « J’étais enceinte de mon premier enfant, en mission dans une fondation au Cameroun qui s’occupait de l’égalité femme-homme, lorsqu’elle a mis fin à mon contrat et à mon assurance maladie » « Ce n’était pas un peu paradoxal ? » dit-elle avec un recul amusé. Si la part féminine dans le développement international est importante, elle reste très minoritaire dans le milieu politico-militaire : le fait que 6 femmes sur 29 soient représentant.e.s à l’OTAN est par exemple considéré comme un progrès.

Les membres de l’association Politiqu’elles et SPNU, accompagnées des trois diplomates invitées

Alors, qu’en est-il de la parité au niveau mondial ? Certaines organisations internationales telles l’ONU pratiquent des quotas, dont Bengoa a pu bénéficier. De nombreuses autres ne les appliquent pas, car la part féminine dépend bien évidemment de l’évolution dans la société concernée : en Suède et au Canada, les femmes sont plus nombreuses que leurs homologues masculins dans le réseau diplomatique, aux États-Unis la parité est proche. Dans l’Union Européenne, elles ne sont pas réellement exclues (la chef de la diplomatie européenne est aujourd’hui Federica Mogherini).

En somme, la parité progresse nettement et avec elle la fin de l’autocensure, grâce à des diplomates impliqué.e.s « On a l’impression qu’elles sont inaccessibles, mais elles ont été très réceptives » conclut « Politiqu’elles ».