Bruno Tessarech, Art Nègre

De prime abord, le nouveau roman de Bruno Tessarech attire, en librairie, au milieu des étalages de cette rentrée littéraire, notamment auprès du wannabe-a-hot-and-famous-writer qui passe sa vie à procrastiner sur Youtube, rêvassant au best-seller. Vous dites ? Je parle de moi, là ? Non, j’vous assure, mais avouez tout de même, l’écrivain paumé déblatérant sur ses problèmes de page blanche évoque une humanité rassurante. Et puis qu’est-ce qu’un Art Nègre au juste ? La quatrième de couverture présente un auteur prof-de-philo-bobo-parisien qui nous parle de lui, de ses problèmes de filles, de l’inside du monde de l’écriture et de l’édition. On est loin de la négritude. Or voilà, sachez-le, l’Art Nègre, c’est tout un concept. Le hic, c’est que tout n’est pas dans le texte.

Source : Buchet Castel

Louis est l’anti-héros utilisé par Bruno Tessarech pour raconter sa propre expérience de nègre, ou de ghost writer. Le roman autobiographique commence dans le désordre de son appartement, présente un écrivain avachi, en mal d’amour et de rigueur qui, subissant les méandres de sa procrastination, lutte pour écrire. Désabusé et poussé par des considérations économiques, il accepte un premier contrat de coauteur. De cuisants échecs en succès relatifs, la mécanique s’enclenche. Louis devient la plume et la pensée qui font défaut à ses « clients ». Le lecteur plonge dans la production des mémoires de personnalités des plus éclectiques, du grand chirurgien français spécialiste de l’opération de la prostate aux coulisses des cabinets ministériels, reconnait Nicolas Hulot et rencontre Jean Rochefort, un ami proche de Tessarech. Le seul lien entre eux, c’est Louis, leur nègre. Il écrit dans l’ombre, sans reconnaissance aucune, pour ceux qui ne savent pas écrire eux-mêmes. Le concept est nébuleux d’abord, puis, au bout d’une centaine de pages, le lecteur comprend : « une des taches du romancier consiste à rendre un personnage aussi crédible qu’un être de chair, tandis que le nègre élève son client aux dimensions d’un personnage » (Tessarech 2013, 72).

 

Ainsi le nègre serait-il ce biographe moderne, qui, en mal d’écriture, endure les histoires des autres. C’est celui qui sait que tout individu, médecin, ministre ou concierge, peut raconter sa vie en quinze heures d’enregistrement, avant de s’égarer en radotages, et c’est génial. Or, si les élucubrations sur les jeux d’égo de l’écrivain désillusionné par une activité méprisable et incompris de son ex-compagne sont menées avec brio, le lecteur perd le fil entre les histoires successives, presque communes, peinant à s’accrocher à l’enjeu du texte. Et pour cause. C’est seulement à travers une interview de Bruno Tessarech que j’ai saisi qu’Art Nègre est le pendant autobiographique de son premier roman à succès, La Machine à Écrire, il a développé le personnage de Louis et son activité de nègre, bien avant d’avoir reçu sa première commande. Quelques années plus tard, rattrapé par son propre imaginaire, Tessarech a exercé une vingtaine de contrats du genre, qu’il décrit finalement dans Art Nègre. Il est en fait devenu Louis, son personnage inventé, et raconte ses exaspérations, puis la vaine sécurité que lui confère son statut d’écrivain de l’ombre, mais dans la vraie vie cette fois. Le génie véritable d’Art Nègre se cacherait-il alors dans La Machine à Écrire ? Le concept de l’écrivain qui romance l’histoire d’un nègre fictif, puis devient le nègre de son nègre est brillant. Sauf que. Bruno Tessarech s’égare parfois entre sa fiction et ses réalités, refusant d’endosser tout à fait son propre rôle de nègre, et passe ainsi à côté de l’occasion du grand roman dont se languit son Louis. « Faisons court : le métier de nègre consiste à donner des idées aux cons et à fournir un style aux impuissants » dit-il au dos de La Machine à Écrire avec l’ardeur habile qui manque tant à Art Nègre. Le roman serait-il véritablement plus attirant que l’autobiographie ? L’auteur a si bien compris, pourtant, à force de dramatiser les fastidieuses histoires des autres, que parfois la romance seule permet de guérir les pâleurs dont souffrent certaines réalités.