Ces gens qui mènent une double vie

Alors que j’ai l’impression de crouler sous le travail, de me noyer dans cet agglomérat indigeste de fiches de lecture, de mémoires et autres absurdités de la sorte, je me demande comment font les autres ? Ces gens qui mènent une double vie alors que je peine à en avoir une à l’instant même. 

Etudiant le jour, serveur la nuit. Sciences-piste le mardi, agent immobilier le lundi. Elève le matin, surveillante au lycée l’après-midi, la liste d’exemple serait encore très longue. Qui sont ces personnes qui, dans l’ombre, parviennent (parfois difficilement) à tout gérer ?

 

Une nécessité économique

La justification financière est souvent, sans surprise, à l’origine de cet emploi pris en parallèle des études. D’abord, il y a les frais de scolarité de Sciences Po et ce système d’échelon qui n’aboutit pas toujours à des situations justes. Ensuite, il y a le fait que Paris c’est Paris, ses prix plus élevés, le coût de la location d’un appartement (…) sans compter tous les extras, les soirées, les voyages. Bref, une motivation financière qui a poussé bon nombre d’entre vous à faire plus que quelques baby-sittings et cours particuliers par semaine et à trouver, non sans difficulté, un emploi. Un emploi qui, pour les plus chanceux, n’est pas forcément synonyme de contrainte mais aussi d’expérience et pourquoi pas d’opportunité.

 

Chercher c’est bien, trouver c’est mieux

Alors que je rencontrais des gens pour lesquels l’occasion de travailler s’était directement présentée à eux (à la suite de CDD pendant les vacances, par contact…), ce fut pour d’autres une sorte de parcours du combattant et il est inutile de compter sur l’étiquette « Sciences Po » dans ces cas-là.

Il faut admettre que nous avons relativement peu d’heures par semaine et une charge de travail d’une autre mesure que celle des prépas par exemple, ainsi, la liste des jobs conciliables avec nos études pourrait être relativement exhaustive mais notre point noir à nous, amis Sciences-pistes : ce sont nos horaires.

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photo : http://blog.objectifemploi.fr/?p=3227

En effet, il s’agit alors de parvenir à négocier avec de potentiels employeurs des heures sur la base d’emplois du temps parfois grotesques et qui ne valent en plus que pour un semestre. Cette tâche peut donc être difficile, sans compter l’impossibilité de s’assurer à l’avance d’une place compte tenu de notre totale dépendance du déroulement de nos inscriptions pédagogiques.

Certains patrons ferment alors les yeux sur ces contraintes et aménagent les emplois du temps avec toutefois quelques exigences tandis que d’autres n’accepteront pas car des étudiants qui postulent, ce n’est pas ça qui manque ! Nous prendrons l’exemple de ce Sciences-piste travaillant dans une agence immobilière et qui, d’un CDD basé sur 27h par mois, a obtenu cette année un CDI à temps partiel où il peut lui-même fixer ses heures et n’en rend compte qu’à la fin du mois. Il reconnaît bénéficier d’une grande liberté et d’une « chance folle« .

Concilier les deux : easy or not ?

Tous vous diront que c’est faisable et qu’en sachant correctement gérer son temps, il peut même en rester de libre pour aller aux soirées BDE. Cela dépend évidemment aussi du job en question et du travail qu’il implique car le rythme peut parfois être rude. En l’occurrence, le cas d’un élève serveur à temps partiel dans un bar et qui travaille le soir jusqu’à tard tout en commençant trois fois par semaines à 8h (la joie d’inscriptions pédagogiques ratées). Ce dernier conclura notre entretien par un « c’est lourd mais je n’ai pas le choix« .

De même, dans cette période de rush avec tout ces papers à rendre, force est de constater que cette activité parallèle peut influer sur la scolarité voire même sur la qualité des travaux rendus. Elle peut aussi occasionner des absences mais, selon les différents témoignages rapportés, les professeurs semblent plutôt tolérants et bien qu’ils ne puissent s’abstenir de les noter, il est arrivé qu’ils acceptent le report d’un travail à faire à plus tard.

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photo : http://blog.boostyourjob.com/2010/12/10/stress-fatigue-demotivation-cadres-ouvriers-travail-etude-malakoff-frederic/

Ainsi, chacun affirme faire de son mieux pour concilier les deux mais il arrive que cela devienne difficile et le manque de souplesse de certains employeurs n’arrange pas la chose. De fait, le conseil qui m’a le plus communément été donné est de faire de la réussite de sa scolarité une priorité.

 

Quelle attitude de l’administration dans tout ça ?

Alors que certains n’y ont jamais eu à faire, les avis des autres sont partagés sur la tolérance et l’attitude compréhensive de Sciences Po. Le manque d’aménagements particuliers a pu les amener à s’adresser à l’administration notamment après des inscriptions pédagogiques fructueuses. Leur réponse oscille alors entre le « mais enfin, Sciences Po n’est pas une fac » et une administration qui est d’accord sur le principe de modifier certains cours à la suite des IP (pour les élèves dans ce cas) mais sans que cela ne se concrétise forcément.

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Photo: 27 – saison 1 – épisode 2 – les inscriptions pédagogiques

Ainsi, force est de constater que ces fameuses IP, tant redoutées par les élèves qui ont un emploi, ne peuvent faire l’objet de dérogation alors même que ce principe aléatoire, sous couvert de laisser le libre choix des cours et des heures, est une source considérable de stress pour les étudiant-salariés. Il assure certes une égalité de tous dans le choix des horaires mais est-il normal qu’aucune priorité où ne serait-ce qu’une garantie ne soit accordée à ceux qui ne sont pas aussi « libres » que les autres et qui doivent se plier à un régime déjà difficile et souvent à contre-coeur ?

La question reste ouverte mais ne semble pas d’actualité au regard notamment des différents programmes des syndicats de Sciences Po. Pourtant, comme le confirme un étudiant : « un meilleur encadrement encouragerait d’autres étudiants en situation financière difficile à trouver un job. Ce qui fait le plus peur, c’est en général de ne pas pouvoir lier les deux« .

Le mot de la fin

Ainsi, ces « salariés » de l’ombre sont beaucoup plus nombreux que ce que l’on pourrait croire sans compter la proportion considérable d’élèves faisant du soutien, du baby-sitting et autres diverses missions rémunérées. Bien qu’il n’existe pas encore de statistiques à Sciences Po, il est évident que ce statut d’élève-salarié est à prendre en considération et pourrait faire l’objet de différentes revendications bien qu’une majorité des élèves interrogés trouvent que l’organisation de l’école reste toutefois favorable à l’exercice d’un emploi.

 

 

Je tiens à souligner que je ne fais pas partie de ceux qui ont un emploi et ne plaide donc en rien pour une cause qui serait la mienne dans cet article.

 

 

 

4 Comments

  • Paul

    Mais il va évidemment de soi qu’il faut encore aller bien plus loin pour que les étudiants n’aient plus à se salarier, ce qui concerne les trois quarts d’entre eux en France et est la première cause d’échec à l’université ; c’est la raison pour laquelle l’UNEF se bat pour une allocation d’autonomie universelle pour les étudiants 😉

    • Jean

      Il y a aussi plein d’élèves de Sciences po qui n’ont pas besoin de se salarier…
      Pour une allocation d’autonomie, mais contre son universalité !

  • Paul

    Bonjour,

    En ce qui concerne le statut des étudiants salariés, des programmes syndicaux et des IPs : les étudiants salariés peuvent procéder à leurs inscriptions pédagogiques manuellement s’ils en font la demande. Il est donc faux de dire le contraire.

    Par ailleurs, je pense que l’UNEF fait tout ce qu’elle peut pour éviter aux étudiants d’avoir à travailler pendant leurs études. 10e mois de bourse en 2010, +200 millions pour les bourses cet été, versement du complément pour les nouveaux échelons à Sciences Po obtenu cette semaine, gel des frais d’inscription pour 5 ans obtenu le semestre dernier, ou encore négociations en cours sur la commission de suivi social, chargée de baisser voire d’exonérer les étudiants de frais d’inscription.