Cher collège universitaire…

Pour plus de drama, lire en écoutant “Le tourbillon de la vie ”- Jeanne Moreau

« On s’est connus, on s’est reconnus et on s’est perdus d’vue »

Cher Collège Universitaire…

Nous deux c’est fini. J’y songe en quittant le beau bâtiment pour la dernière fois, avec cet espèce de pincement au cœur que je n’attendais pas. Le dernier jour ressemble au premier : excitation, nostalgie d’une époque qui se termine et joie, oui joie à l’idée de ce qui va commencer.

Mon cher Collège U, entre nous deux, les choses ont bien mal commencé. Cet été-là, tu m’as écourté cruellement mes vacances, mettant tout de suite les points sur les I. Pour les années à venir, tu dicterais, et je suivrais.

Alors j’ai suivi. Les cours en amphithéâtre pas toujours très intéressants, mais souvent magistraux, oui c’est le mot. Je polissais les bancs en bois avec mes petites fesses, à chercher un confort qui ne viendrait pas pour prendre des notes que je ne relirais jamais.

J’ai suivi… les conférences aussi ; bon gré mal gré, le fantôme de la défaillance viendrait me hanter une ou deux fois, mais j’aurais passé l’âge d’y croire en deuxième année.

La première année est l’époque de la candeur. On se compare à la fleur qui croit qu’on ne la cueillera jamais, et qui est convaincue qu’on l’arrose par amour et non par intérêt. On croit que l’institution s’adapte à notre personne, et que la terre a été placée ici. Une fois parvenu en deuxième année, l’allégorie prend fin, et l’on découvre que l’on grandit dans une serre, entouré de fleurs identiques, et que l’on mange le même terreau que tout le monde.

Mon cher Collège U, tu m’avais promis que le meilleur était à venir et j’attends encore. Où sont les cours séminaires à la hauteur de leurs noms ? Les cours en anglais dispensés par un natif ? J’attends que tu changes mais tu restes fidèle à toi même, immuablement casse-pieds.

Alors que je sors la tête de l’eau, que ta main ne maintient plus la pression, je voudrais pourtant – étrange paradoxe – pouvoir y retourner encore et boire à plus soif ; rester encore dans la chaleur de ta bibliothèque sous les rayons de tes néons, glander dans tes jardins en caressant Marcel ; procrastiner à l’ombre de ta péniche et de tes débats stériles. J’ai aimé être à toi en pensant le contraire, forger ma vie autour de toi. Amour, amis, ennemis, tous venaient de toi; que ferai-je demain si tu ne me tiens plus la main?

De notre histoire, je garde, tu le sais, le meilleur. C’est l’avantage du temps qui passe : on oublie le reste, on chérit le plus intense. Alors je garde les rires d’économiste de monsieur Généreux, les éclats de folie de monsieur Badie, les apparitions de Mion babe (rares, mais appréciées) et j’oublie volontiers les cours jusqu’à 21h, les places en bibliothèque qui brillaient par leur absence, ton administration humainement imparfaite. J’aurais voulu profiter correctement et te rendre fier de moi, devenir cum ou summa, être politisée comme les autres et militer pendant les campagnes mais j’ai été l’amie à problèmes dont tu parlais à tes copines. Il faut croire que l’on ne se refait pas.

Demain, tu vas me replanter dans un plus grand pot. Je vais grandir et devenir pendant un an une version plus épanouie d’élève et à mon retour je verrai les petites têtes d’étudiants nés après l’an 2000, je te verrai les caresser de tes griffes, hésiter entre tendresse et rigueur. Et j’aurai le sourire bienveillant de celle qui sait qu’on en meurt pas bien au contraire.

Mon cher Collège U, je ne m’enfuis pas, je vole. Comprends-moi bien, je vole, sans fumée sans alcool et c’est avec regret…