Chroniques de la Silicon Valley, épisode 2

Au cours des vacances de la Toussaint, plusieurs élèves se sont rendus en Californie dans le cadre d’une learning expedition organisée par le Centre pour l’Entrepreneuriat de Sciences Po Paris. À cette occasion, les participant.e.s ont découvert le monde si particulier de la Silicon Valley. Jusqu’au 14 décembre prochain, nous publions chaque jeudi une chronique rédigée par eux, chronique au sujet de cette expérience aux multiples facettes. 

Une semaine dans la Silicon Valley, à la rencontre de celles et ceux qui façonnent l’écosystème le plus dynamique de notre temps. Une expérience extraordinaire pour qui s’intéresse à l’entrepreneuriat, et ne peut, comme moi, s’empêcher d’avoir une certaine fascination pour la célèbre vallée qui compte actuellement près de 32 000 start-ups, nombre qui ne peut a priori que recouvrir la réalité d’une population hyper créatrice, à la pointe du progrès technologique… Mais qui sont réellement ces forces vives de la Silicon Valley ? Quels sont les facteurs de cette production exceptionnelle d’innovation ? Telles sont les questions qui se sont imposées à moi lors de notre séjour à San Francisco, organisé par le Centre pour l’Entrepreneuriat de Sciences Po.

Une allée du campus de l’université de Stanford. Crédits photo : Lola Meunier

Dans cet écosystème, trois figures s’imposent : l’ingénieur, l’entrepreneur et l’investisseur.

1/ L’ingénieur, roi de la Silicon Valley

La première chose qui m’a marquée dans la plupart des rencontres que nous avons faites, c’est le statut royal qu’occupe l’ingénieur dans cet écosystème. Qu’il code des logiciels ou décode de l’ADN, l’ingénieur trouvera sa place dans le monde entrepreneurial de la Bay Area. Ceci s’explique par un mode de pensée très répandu : les start-ups ont pour but de résoudre un problème. Et tout problème est soluble par l’ingénieur.

Ce statut privilégié de l’ingénieur m’est apparu à son paroxysme lors de nos visites chez Facebook et Google. Ces deux géants du numérique ont fait de leur campus des “Disneyland” de l’entreprise. Ce sont de petites villes fermées où les nombreux employés restent entre eux. Jeux, nourriture, salles de sport… Tout y est, et tout est gratuit. Les gens y semblent heureux, jeunes, en harmonie :  Disneyland, vous dis-je !

Dans la même journée, nous avons rencontré Fred Turner, chercheur au Département de Communication de Stanford, et Jeff Nagy, l’un de ses doctorants, qui ont partagé leur point de vue avec nous. Afin de stimuler la créativité, les grandes entreprises technologiques s’attachent à promouvoir les ingénieurs au statut d’artiste-ingénieur. L’ingénieur n’est pas seulement technicien, il est esprit créateur, résolvant des énigmes de notre époque. L’ingénieur doit se percevoir lui-même comme source créatrice à l’origine des innovations du futur. Si tout est pensé pour son plus grand confort, celui-ci n’a plus qu’à se préoccuper d’inventer.

2/ L’entrepreneur aventurier

Mais alors… aucune chance pour nous autres, non-ingénieurs, de nous faire une place dans la Bay Area ? Ai-je manqué ma voie si je n’ai pas appris les dessous du fonctionnement d’un ordinateur ou d’une nanoparticule ? Que nenni, rassurons-nous. Si les ingénieurs ont un statut royal, ils n’ont pas pour autant le monopole de l’entrepreneuriat.

L’équipe à l’intérieur des locaux de Facebook. Crédits photo : Gaspard Velten

La Learning Expedition nous a permis de rencontrer de nombreux entrepreneurs, américains ou français, qui nous ont raconté leur histoire. Ces entrepreneurs, tels que Matt Lhoumeau, Frenchy cofondateur et PDG de Concord ou Tenzin Seldon, américaine-tibétaine fondatrice et PDG de Kinstep, ont en commun de n’être en rien des ingénieurs et d’avoir des histoires surprenantes de détermination et de persévérance. Ces entrepreneurs et entrepreneuses que personne n’attendait nous ont prouvé que le rêve américain n’est pas qu’un mythe : divers profils peuvent parvenir au statut d’entrepreneur à succès. Il suffit de le vouloir… et de bien s’entourer.

3/ Venture Capitalists, incubateurs, CIA, GAFA… la bataille des investisseurs

La fertilité de la Silicon Valley en termes de start-ups n’est pas un pur hasard. A travers son histoire (cf. l’épisode 1 : Quand l’individu veut rendre le monde meilleur) et sa construction, elle est devenue un environnement parfaitement propice au processus perpétuel de création-destruction de start-ups. Elle nous est apparue comme le point de jonction de plusieurs acteurs dont la réunion permet d’engendrer ces processus de création-destruction. D’un côté les universités, telles que Stanford et Berkeley, subventionnent les recherches internes de leurs professeurs et étudiants et produisent des chercheurs et ingénieurs à la pointe de leur domaine.

Ces recherches et individus sont à la sortie de l’université récupérés par tous les combattants en quête de “licornes”, ces start-ups valorisées à plus d’un milliard de dollars. Mentionnons notamment les fonds de Venture Capital, les GAFA ou les incubateurs. A ces acteurs propulseurs de projets entrepreneuriaux s’ajoutent un quasi-unique protagoniste public, le US Department of Defense, et toutes ses institutions subalternes et dérivées.

Le financement comme prérequis indispensable à l’innovation 

Cette course à l’innovation apporte un élément essentiel à la Silicon Valley : l’absence d’aversion au risque. Une start-up est une entreprise qui repose sur la promesse d’une innovation. Beaucoup sont au stade de la recherche scientifique ou du prototypage, sans revenus. Le financement public ou privé leur permet de survivre et de se développer jusqu’à ce qu’elles soient rachetées, génèrent des revenus, ou meurent. Finalement, le succès du lancement d’une start-up tient en sa capacité à obtenir suffisamment de financements, jusqu’à cette dernière étape.

Une représentation en Lego du premier serveur de Google. Crédits photo : Lola Meunier

Dans la Bay Area, l’argent coule à flot et les portes peuvent s’ouvrir rapidement. Comme nous l’a dit Matt Lhoumeau, si vous avez un produit, beaucoup seront prêts à vous écouter. Car vous venez peut-être de créer quelque chose qu’ils ont intérêt à acquérir les premiers. Face à ce potentiel, les fonds de venture capitalists sont nombreux à la recherche de la start-up dont le succès financier compensera les échecs d’autres paris perdus. Ainsi tout entrepreneur peut-il financer son idée. L’ascension peut être véritablement rapide, mais la chute peut être tout aussi brutale. Il semble qu’il n’y ait pas de limite à l’itération. Pour savoir il faut essayer, et si l’idée ne fonctionne pas et s’écroule, il faut recommencer.

L’ingénieur apparaît finalement comme l’enfant-roi de la Silicon Valley et l’entrepreneur comme la potentielle « cash cow » recyclable. Mais ce modèle est-il véritablement durable ? On est surpris par la moyenne d’âge peu élevée des ingénieurs-artistes des campus que nous avons visités, ainsi que la rapidité avec laquelle les start-ups se lancent… et s’écroulent. L’énergie, le cash et les ressources humaines sont brûlés à la vitesse de la lumière. Finalement, la Silicon Valley ne serait-elle pas le lieu de l’hyperconsommation à l’américaine de l’être humain ?

À l’origine de cet article, il y a une rédactrice. Voici son histoire.

Lola Meunier : Récemment diplômée du Master Economics & Business de l’école du management et de l’innovation de Sciences Po, Lola se destine aux financements des start-ups et PME dans les pays émergents, dans l’optique finale de se lancer à son tour dans l’entrepreneuriat un jour.

À propos de la Learning Expedition : Le Centre pour l’Entrepreneuriat de Sciences Po apporte une expertise sur l’entrepreneuriat et l’innovation aux étudiants, aux start-ups et aux chercheurs.

Dans le cadre de leur cursus académique, la Learning Expedition dans la Silicon Valley est l’occasion pour ces étudiants et pour d’autres étudiants sélectionnés parmi les meilleures écoles scientifiques françaises, d’être immergés pendant 5 jours au cœur de l’innovation et d’apprendre auprès des entrepreneurs les plus inspirants.