Chroniques de la Silicon Valley, épisode final

Au cours des vacances de la Toussaint, plusieurs élèves se sont rendus en Californie dans le cadre d’une learning expedition organisée par le Centre pour l’Entrepreneuriat de Sciences Po Paris. À cette occasion, les participant.e.s ont découvert le monde si particulier de la Silicon Valley. Nous publions chaque jeudi une chronique rédigée par eux, chronique au sujet de cette expérience aux multiples facettes. 

Épisode 4 : San Francisco, la ville qui accompagne la tech

Avant de partir pour la Learning Expedition, à la découverte de l’écosystème fleurissant de la Silicon Valley, nous avions en tête cette image de San Francisco, de son pont, de son tramway et ses rues iconiques que nous avions pu voir à la télévision ou au cinéma. Pourtant, la Silicon Valley, c’est un vaste territoire de 40km de long au sud-est de San Francisco, qui démarre d’Oakland et s’étend jusqu’à San Jose. D’ailleurs, pendant notre voyage, nous sommes allés aussi bien à Berkeley qu’à Palo Alto, Mountain View et parfois dans San Francisco même… En fait, en tant que scène tech, la ville de San Francisco est entrée dans la danse relativement tard dans le développement de la région. Pour nous, c’était donc intéressant d’interroger l’organisation de cette ville qui pourtant symbolise l’écosystème, et voir comment elle a évolué à l’aune du développement économique et technologique de la région.

Une ville qui s’adapte à la technologie

Lors de notre expédition, nous avons eu la chance de voir des lieux très différents : entre rencontres avec des start-ups au cœur de San Francisco ou dans les villes périphériques, et la visite des désormais célèbres campus de Facebook et Google, nous avons pu percevoir comment la ville s’organise et change en fonction de ces vagues de développement économique. San Francisco semble s’imposer à la fois comme le centre névralgique de cet écosystème économique, et comme un espace de vie à distance d’un univers tourné vers le travail. Pourtant, très peu de grosses entreprises, “Unicorns” et autres grandes startups sont véritablement implantées à San Francisco. En fait, les entreprises et les start-ups ne s’y sont intéressées que depuis la fin des années 2010.

Cependant, en termes de vie et de culture, San Francisco attire de plus en plus les individus qui travaillent dans la Valley. La ville demeure, de manière incontestable, le pôle d’attractivité principal. Tout est fait pour que San Francisco soit le centre de ce qui se passe dans la Valley. Chaque jour, des milliers de personnes commute — entre une et deux heures par trajet — pour se rendre dans les locaux des grandes entreprises ou des start-ups, généralement situées dans les villes proches des deux pôles universitaires que sont Stanford et Berkeley. Ces pôles sont eux-mêmes organisés en “villes campus” dans lesquelles vivent la majorité des étudiants. Loin de refroidir ceux qui arrivent dans la Silicon Valley pour y travailler, ces distances font partie des concessions du job.

La ville au coeur de l’attractivité de la région

Malgré cette organisation assez disparate entre les centres Berkeley/Stanford et les villes environnantes, l’attractivité de la ville de San Francisco reste incomparable. Le premier résultat : l’emballement du marché immobilier, et les prix des loyers qui ne cessent d’augmenter à cause de cette sur-demande. Tout le monde veut continuer de vivre à San Francisco ; la ville jouit du statut de pôle central de la Valley en termes de vie culturelle, ce que les autres métropoles de la Valley n’ont pas réussi à recréer. Dans les mentalités, la ville est historiquement liée à la culture hippie, très marquée dans le Mission District, ou encore à l’histoire nationale de la conquête des droits LGBT, et à toutes les sous-cultures liées à ces mouvements.

Cette histoire attire le public qui vient s’installer à San Francisco, et a pour conséquence — comme dans de nombreuses grandes métropoles américaines — un phénomène de gentrification ; les classes moyennes et populaires sont poussées vers le sud profond de la ville, et la misère reste concentrée au centre, dans les rues de San Francisco. Comme nous avons pu l’évoquer dans l’épisode 1 de cette chronique, toute la richesse que produit la Silicon Valley et toute cette inventivité n’empêchent pas San Francisco d’abriter une extrême misère dans les rues. Et nous étions d’autant plus frappés, lors de nos différentes visites, par la forte concentration de tous les SDF dans l’ultracentre de San Francisco et Oakland, alors qu’elle nous apparaissait bien plus faible dans les “nouvelles villes” qui se sont créées et développées avec les entreprises de la tech comme Palo Alto ou Menlo Park.

Inclusivité, innovation, durabilité, créativité

Ce phénomène de gentrification se retrouve dans les mots que l’on a pu entendre pour décrire la ville, et à San Francisco, ce qui est mis en avant c’est l’inclusivité, l’innovation, la durabilité et la créativité, notamment par le biais des technologies qui y sont développées. Les “bons sentiments” d’ouverture en termes de mixité de race, de genre, de sexualité sont affichés partout dans la ville. Le discours est très présent dans la bouche des habitants, notamment des nouveaux venus ; ils évoquent souvent la capacité innovante de la métropole à gérer les problèmes comme l’extrême pauvreté. C’est un discours que l’on a pu rencontrer dans nos échanges avec Palantir, où l’on nous a longuement expliqué les actions et partenariats avec la municipalité et les institutions du comté pour traiter le “problème des SDF“. 

Au coeur même de la ville se reflète cette culture et ses concepts, jusque dans les devantures des cafés et dans la diversité des scènes qui sont exposées, et qui participent à attirer ceux qui in fine font aussi la richesse de la région. Et les entreprises répondent à ce désir de mode de vie urbain, connecté et proche. C’est notamment le cas de deux entreprises que nous avons pu visiter, Airbnb et Uber, dont les campus sont tous deux situées en plein centre-ville, et qui ont justement fait le choix de cette proximité pour leurs employés. La ville est alors présentée comme un argument de confort et de modernité, qui  se révèle finalement être un atout de compétitivité avec les autres métropoles tech du continent.

En fin de compte, vue d’une perspective française, cette vision de la ville qui concentre toutes les activités économiques, sportives et culturelles avec son phénomène de gentrification n’est pas totalement étrangère, ni cet effort des métropoles pour être attractives pour les employés de cette nouvelle économie. L’exemple de cette organisation spatiale peut notamment nous alerter et donner des clés de réflexion pour s’organiser dans notre pays et même en Europe, qui cherche aussi à devenir un pôle européen attractif pour le développement de l’économie tech.

À l’origine de cet article, il y a une rédactrice. Voici son histoire. 

Sophie TsotridisSophie, originaire de Lille, est arrivée à Sciences Po Paris en Master de Communication, après trois ans de classes prépa Lettres et Sciences sociales (BL). Finissant actuellement son M2, elle travaille en production de documentaires et de films institutionnels.

À propos de la Learning Expedition : Le Centre pour l’Entrepreneuriat de Sciences Po apporte une expertise sur l’entrepreneuriat et l’innovation aux étudiants, aux start-ups et aux chercheurs.

Dans le cadre de leur cursus académique, la Learning Expedition dans la Silicon Valley est l’occasion pour ces étudiants et pour d’autres étudiants sélectionnés parmi les meilleures écoles scientifiques françaises, d’être immergés pendant 5 jours au cœur de l’innovation et d’apprendre auprès des entrepreneurs les plus inspirants.