Conférence de François Hollande : un Président en terrain connu

Boutmy bruisse d’une impatience non-dissimulée. Les téléphones sont brandis, aux aguets, prêts à capturer l’entrée d’une silhouette encore cachée sur le côté. Les rangs de l’amphithéâtre sont bourrés à craquer, et même le balcon se retrouve peuplé de visages surexcités.

Mais qui donc s’apprête à pénétrer dans la salle ? Une rock star ? Un acteur oscarisé ?

Mieux que ça.
Un ancien Président. 
L’équivalent à Sciences Po en termes d’aura du Pape ou du dalaï-lama.

L’audience se raidit : il est là.

Passées les acclamations qui étaient à prévoir, l’invité du jour, à savoir François Hollande, prend place sur scène. Il est reçu en ce mercredi 6 février par l’Association de l’Ecole d’Affaires Publiques, afin de donner une conférence sur l’avenir de la social-démocratie en Europe.

Une fois l’effervescence des premiers instants retombée, Boutmy retrouve son calme. François Hollande débute alors son intervention en rappelant une chose : il a lui aussi été assis sur ces bancs. Ce détail a son importance dans la mesure où c’est au sein de Sciences Po qu’il a commencé à s’engager et à cultiver son goût pour la social-démocratie. Les personnes de sa génération se posaient une question principale : quand la gauche parviendrait-elle aux responsabilités ? Aujourd’hui, une multitude d’autres questions sont venues compléter cette interrogation. Parmi elles, les doutes concernant la social-démocratie et plus particulièrement la « crise continue » qu’elle traverse depuis une dizaine d’années.

François Hollande s’est alors lancé dans une tentative d’explication du déclin de « l’empire social-démocrate ». Quatre causes sont plausibles selon lui :

Par sa réussite même, la social-démocratie aurait épuisé son projet. Ainsi, elle n’aurait d’autre raison d’être que la défense de ses propres acquis.
L’ouverture au monde, en particulier du fait de la mondialisation et du projet européen, l’aurait affaiblie.
L’évolution même de la société, se traduisant par une individualisation des rapports sociaux, contribuerait à son déclin.
Son éloignement des classes populaires, explication que François Hollande juge la plus sévère.

Face à son déclin et ses difficultés, la social-démocratie est alors devenue la cible de nombreux adversaires. Les libéraux d’une part, soutenant l’idée que les sociaux-démocrates seraient « des amoureux de la fiscalité » contribuant à « spolier les catégories les plus dynamiques de la population au risque de les décourager ». L’extrême droite, les nationalistes et les souverainistes la remettraient également en cause en raison de ses valeurs d’ouverture et de tolérance. Les néo-communistes seraient aussi des opposants du fait du soupçon de trahison qui pèse sur la gauche depuis les années 1930. Enfin, les écologistes constitueraient ses adversaires les plus légitimes selon François Hollande dans la mesure où, même si les sociaux-démocrates prônent des valeurs de tolérance et d’ouverture, ils auraient tendance à négliger des questions essentielles concernant le climat et l’avenir de la planète.

Face à ces défis, François Hollande émet deux hypothèses : nous pourrions être à la fin du cycle historique de la social-démocratie… ou n’assister en réalité qu’à une mutation de sa part – c’est cette dernière hypothèse qu’il privilégie.

Aux yeux de l’ancien président, la social-démocratie doit désormais se restructurer autour de trois éléments principaux si elle veut perdurer. D’une part, ce devrait être autour de l’individu que les réponses aux revendications devraient être données. Jusqu’à récemment, les décideurs politiques raisonnaient par rapport à des groupes, mais désormais, les individus veulent une réponse personnalisée à leurs problèmes. C’est ainsi qu’il faudrait partir des aspirations individuelles, tout en leur donnant un cadre commun pour que « chacun puisse réaliser son destin avec la solidarité des autres ». Par ailleurs, il devient de plus en plus difficile de traiter les citoyens de la même manière du fait de multiples inégalités, notamment territoriales. Il faudrait alors différencier les politiques selon les lieux d’habitats pour afin de répondre au mieux aux besoins de la population. Enfin, la social-démocratie devrait porter une attention croissante aux enjeux planétaires tels que le climat, la paix ou la guerre.

La fin de l’intervention de François Hollande fut consacrée à l’évocation des « défis du siècle ». L’écologie y occupe encore une fois une place très importante, de même que la résorption des inégalités ainsi que la démocratie elle-même. Le plus important pour les décideurs politiques serait de réussir à « impliquer le citoyen » afin de le rendre acteur de son propre changement.   

Face à ces défis, la social-démocratie devrait également « faire confiance aux corps intermédiaires », décentraliser le pouvoir ou encore redistribuer les richesses entre les territoires. Sur la question des institutions, François Hollande ne se prononce pas en faveur de changements, mais pour leur clarification et une évolution éventuelle vers un régime présidentiel.

En dernier lieu, François Hollande a abordé la question de l’Europe et plus particulièrement de sa relance, au sein de laquelle la social-démocratie a indéniablement un rôle à jouer. L’Europe des 27 étant un statu quo pour Hollande, il s’est déclaré convaincu qu’une Europe des deux, associant France et Allemagne dans un premier temps, pourrait être bénéfique.

Son intervention achevée, l’ancien Président de la République s’est livré au jeu des questions-réponses, tout d’abord avec trois intervenants issus de ou invités par l’AEAP, puis avec le public. Les thèmes abordés s’avèrent plus que variés, avec des questions portant sur les territoires ultramarins et notamment la Guadeloupe, le Brexit, la cohésion européenne, les Gilets Jaunes – au sujet desquels Hollande s’étend peu, pointant simplement le fort soutien dont le mouvement a bénéficié de la part de la population française -, ou encore sur les raisons de l’absence de véritables réformes institutionnelles de sa part lorsqu’il était au pouvoir, ce à quoi l’invité du soir répond en soulignant le fait qu’on “en demande trop à la gauche”, et qu’il n’a “pas été élu pour ces réformes-là, qui sont des réformes longues, difficiles, et qui ne sont souvent pas la réponse attendue”.

On retiendra de cet échange l’évocation émue des attentats terroristes par M. Hollande, alors qu’on lui avait demandé ce qu’il restait aujourd’hui de son mandat.

“Ce qu’il restera de mon quinquennat dans vos mémoires, dans l’histoire, ce sont les attentats. Jamais notre pays n’avait été attaqué de cette façon. J’ai été fier d’être président à ce moment-là, parce que j’ai vu le peuple français submerger les rues au-delà des sensibilités politiques. Et quand j’ai vu les chefs d’Etats du monde entier qui défilaient boulevard Voltaire (sans savoir qu’ils n’étaient pas vraiment protégés), j’ai été bouleversé. Tout le monde était là, pour témoigner que la France était le pays de la liberté. On ne peut pas nier les divisions du pays, mais le rôle du président est de se mettre au plus haut niveau pour apaiser et rassembler.”

C’est ainsi qu’après plus de deux heures sur scène, François Hollande quitte l’estrade de Boutmy sous des applaudissements nourris. Il marque ainsi le terme d’une intervention où il est apparu serein, toujours capable de ses petites pirouettes et autres plaisanteries, assez peu chahuté par une assistance plutôt bienveillante, et où il a trouvé l’occasion de réaffirmer ses valeurs : cohésion, solidarité, démocratie, avec pour finir un soupçon d’injonctions à la jeunesse, seul moteur potentiel selon lui d’un changement social et écologique nécessaire.

Charlotte Canizo et Capucine Delattre