Dissolvons le Macronisme

À l’annonce de la Dissolution de l’Assemblée Nationale, nombreux·ses étaient celles·eux qui déploraient le choix d’un retour aux urnes, sur lesquelles pend le faisceau de l’extrême droite. Mais ces nouvelles élections sont aussi et en même temps l’aveu de l’échec passé et l’annonce de l’échec prochain de la mouvance Macroniste, confrontée à la vacuité intellectuelle, morale et politique qui est la compagne naturelle de son manque total de projet cohérent. Nous devons la situation actuelle aux effets dévastateurs de ses méthodes et de ses stratégies, qui méprisent la démocratie et qui ont démoli le « barrage républicain » bien avant l’annonce des élections législatives de 2024. Amère victoire donc que celle de voir Emmanuel Macron vaincu par sa démesure, puisqu’elle s’accompagne déjà d’une défaite pour tous·tes les Français·es. De cela au moins, nous devons le punir.

Un presque légitime retour au vote

Certes, rien n’est plus indigne que le calcul qui a poussé Emmanuel Macron à convoquer de nouvelles élections. Sa stratégie, que sa répétition rendrait risible si elle n’était pas aussi dangereuse, consiste, comme en 2017, en 2022 et aux européennes de 2024, en ne reconnaître et ne promouvoir que l’extrême droite comme adversaire afin de profiter du « barrage républicain » que les électeurs de gauche ont péniblement tenu au fil des élections. Mais dénoncer sans ambages la Dissolution au nom de l’indignité de ses motivations, c’est oublier qu’enfin, Emmanuel Macron semble prendre acte des résultats d’une élection. Piètre consolation. Mais il n’est pas rare, dans les démocraties parlementaires « normales », que le Gouvernement tombe lorsque le peuple désavoue massivement son action à travers des votes au cours de son mandat, menant à des consultations organisées par le Chef de l’Etat. Il suffit de penser aux élections anticipées espagnoles de 2023, après la défaite aux élections régionales du PSOE de Pedro Sanchez, ou aux multiples recompositions gouvernementales italiennes, à l’image de celle de 2016, après l’échec de Matteo Renzi lors d’un referendum constitutionnel.

Mais ces événements se sont déroulés dans des pays où le Chef de l’Etat ne contrôle pas celui du Gouvernement, et où le Gouvernement est contraint de recueillir la confiance du Parlement, ce qui n’est certes pas le cas en France, où, sur le fondement de ces mêmes principes parlementaires, il aurait fallu depuis longtemps convoquer des élections ou négocier une coalition légitime et majoritaire de gouvernement, auprès de la représentation nationale. Il reste cependant intéressant, dans le contexte français, d’avoir enfin pu exercer par le vote un pouvoir de sanction sur le Gouvernement, à défaut d’avoir initialement pu influer sur sa composition à travers nos représentants élus. Réaliser ce déficit démocratique des institutions françaises peut être difficile pour qui n’a jamais connu d’autre système, même s’il est flagrant depuis toute autre démocratie libérale. Le point où le Macronisme l’a exploité et l’a creusé est néanmoins sans précédent, et ce n’est pas un hasard si le niveau exceptionnel de violence sociale qu’a représenté la Réforme des Retraites s’est réalisé dans un niveau tout aussi exceptionnel de violence institutionnelle et démocratique.

Cette Réforme des Retraites, comme toutes les autres innombrables lois antisociales promulguées par Emmanuel Macron, est à considérer comme l’une des causes de la montée de l’extrême droite. Même si celle-ci, on le sait, est aussi le résultat de la stratégie politique et électorale des Macronistes. Si bien que le score du RN aux européennes s’est établi à un niveau historique, et qu’il risque, lors des prochaines législatives, dont on était tenté de saluer la tenue, de prendre le pouvoir. Et c’est peut- être de cela moins que de la Dissolution en soi qu’il faut tenir rigueur à Emmanuel Macron.

Le sapage du « barrage républicain »

Alors que l’extrême droite menace, la dénaturation du « barrage républicain », ancien rempart à celle-ci, est à imputer à Emmanuel Macron. D’abord, en étendant cette notion à une gauche pourtant respectueuse de l’Etat de droit et de l’égalité de tous·tes les citoyen·nes, à travers les Insoumis·es, il a fait perdre son sens au terme « républicain ». C’est une insulte à toute la gauche, celle-là même qui, d’élection en élection, a tenu le barrage à chaque fois que les Macronistes ont affronté l’extrême droite. Oublier son indispensable soutien une fois au pouvoir est l’offense qui parachève cette stratégie cynique. Elle s’accompagne par ailleurs d’un intérêt au renforcement de l’extrême droite, pour profiter du vote de gauche au second tour, qui a poussé le camp macroniste à dédiaboliser l’extrême droite pour la faire apparaître légitime dans sa place de principale opposition, et à l’inverse à enfoncer la gauche le plus possible, en établissant des parallèles révoltants à chaque fois que c’était elle qui menaçait de l’affronter directement, comme lors de la constitution de la Nupes.

Le barrage sous-entend l’unité face à ce à quoi on fait bloc. Du moment qu’il y a eu plusieurs barrages, il n’y en a plus eu aucun. La manipulation qu’Emmanuel Macron a faite de ce principe lui donne la responsabilité de sa dénaturation et exclut d’emblée son bord politique des forces véritablement républicaines. La démocratie n’est pas un jeu, n’en déplaise à celui qui, après un casse électoral raté aux législatives de 2O22, s’est livré à un casse démocratique, d’abord en imposant une Réforme des Retraites rejetée par les français·es, en faisant usage de tous les ressorts constitutionnels possibles à l’exception de celui du vote ; ensuite en faisant pression sur ses député·es, au mépris de la séparation des pouvoirs, pour qu’ils et elles votent un texte ignominieux, avec le concours du RN : une Loi Immigration qui a rompu avec la tradition républicaine fondatrice de l’égalité en mettant en péril le droit du sol et en introduisant dans la loi la préférence nationale, soit des pans entiers du programme de l’extrême droite. La récente Dissolution n’est qu’une nouvelle combine mortifère – la plus mortifère – dans la lignée des précédentes.

Ceux qui se sont compromis sont-ils pires que ceux avec qui ils se compromettent ? Certains pourraient soutenir que oui. Mais en réalité, la question ne se pose même pas. Car il ne s’agit pas de savoir si les uns sont pires que les autres. Arrivé le moment du vote, se dessinent des lignes rouges au-delà desquelles il n’est pas question de faire un spectre des forces plus ou moins antidémocratiques. Ce n’est pas dire qu’aucune option n’est plus dangereuse que le Macronisme, mais que le Macronisme n’est plus une option. La question est profondément morale : les Macronistes ont eu notre pays entre les mains, et, qu’on l’ait voulu ou non, ils étaient les gardiens de notre démocratie et de nos valeurs. Et ils les ont éhontément trahies. Dès lors, on ne peut plus les leur confier, surtout dans le contexte où elles sont de plus en plus menacées. Un électeur ne peut en conscience et en cohérence avec l’acte de son vote glisser dans l’urne un bulletin macroniste. Car le fait que les Macronistes ne soient pas les moins républicains n’occultera jamais le fait qu’en définitive, ils ne le sont pas. Il n’y a pas d’en même temps pour l’arc républicain : on est en dedans ou on est en dehors. Ils ont choisi pour nous ; leurs votes nous obligent.

Le Macronisme mort, (sur)vive la démocratie

Bien que l’on puisse, à raison, déplorer la tenue des élections législatives en ce moment précis, il faut, en même temps que l’on s’arme pour combattre l’extrême droite, saluer ce qui sonne comme le glas tant attendu car tant mérité du Macronisme. Il est temps de se débarrasser de ces pantins gyrovagues prêts à nous emmener partout où leur intérêt et leur Chef les guide, de l’abandon de leurs électeurs à celui de leurs idéaux. Ceux qui nous emportaient dans leur dérive sans limite, se comportant comme les Indolents à l’entrée de l’Enfer dantesque, sont descendus au cercle le plus profond de la damnation, celui des traîtres. Ce n’est peut-être pas pour rien que Dante plaçait ses Ignavi, « ceux qui ont suivi », à l’entrée de l’Enfer, devant la porte, moins pour signifier la petite taille de leur faute que sa petitesse, et pour avertir que c’est à partir de cette dérive ci que l’on peut pénétrer ces profondeurs-là, jusqu’à toucher, dans le même élan, leur fond. On pourra leur communiquer qu’il a fallu creuser bien loin pour trouver un monde où les extrêmes se rejoignent.

D’Emmanuel Macron, on dira que ses grimaces de Janus ont révélé son visage de Judas. Que personne n’a fait autant de mal à la démocratie française que lui. Le raisonnement moral, pour la démocratie, et le raisonnement stratégique, contre l’extrême droite, s’unissent ici pour rejeter au plus tôt la possibilité même que le Macronisme se présente en alternative. La Dissolution de l’Assemblée Nationale, alors que le camp d’Emmanuel Macron touche des bas historiques dans l’opinion publique, peut être saluée dans la mesure où elle semble pouvoir précipiter sa nécessaire disparition. Mais cette opportunité nous est donnée au risque d’un coût incalculable, celui de voir l’extrême droite accéder au pouvoir. Emmanuel Macon est prêt à courir ce risque, et ce n’est certainement pas parce qu’il pense qu’il faut en finir avec son gouvernement. Comme Victor Hugo le dénonçait chez Napoléon III, il court pour sa gloire personnelle vers son Sedan, en choisissant d’ignorer les conséquences que sa défaite produira pour toute la France, même au-delà de son départ : après lui, le déluge. Soit il espère l’énième sursaut du « barrage républicain », alors qu’il est lui-même l’artisan de son écroulement, soit il croit que trois années d’extrême droite nous feront le regretter. Dans les deux cas, son inconscience, son opportunisme et son égoïsme s’additionnent à la liste des raisons de le punir le 30 juin.

C’est en actant la mort du Macronisme, à l’agonie depuis 2022, que l’on se tournera d’autant mieux vers la seule véritable alternative à l’extrême droite, celle de la gauche. Aujourd’hui, où tout est encore possible, l’enjeu n’est pas de mettre sur le même plan Macronisme et extrême droite, comme s’il ne restait déjà que ces deux options. Dans un contexte où c’est justement cette dernière qui représente la plus forte menace, l’essentiel est de comprendre, dès avant le premier tour des législatives, qu’Emmanuel Macron doit être vaincu pour que l’on vainque l’extrême droite ; que tout vote macroniste ne sera pas et ne sera jamais un vote de barrage. Car le barrage est mort sous les coups du Macronisme ; peut-être qu’il renaîtra avec sa disparition. Ce que seul le succès du nouveau Front Populaire peut rendre possible.