Exposition “Sacrilège” : l’Etat et le sacré aux Archives nationales

Les Archives nationales accueillent l’exposition Sacrilège ! L’Etat, les religions et le sacré. Cette exposition propose de revenir sur l’histoire des relations tumultueuses entre l’Etat et le sacré. Au cœur de cette histoire : la notion de sacrilège. Etymologiquement, le sacrilège est un acte offensant le caractère sacré d’un lieu, d’une pratique ou d’une personne. Le sacré, pour reprendre la définition qu’en donne Mircea Eliade, est un espace séparé du profane qui constitue le cadre habituel des relations sociales, pénétrer dans cet espace implique un respect particulier qui prend la forme de l’observation de rites spécifiques. Si le sacré renvoie inévitablement au religieux, l’exposition parvient à en souligner la grande diversité.

En premier lieu, le judaïsme et le christianisme élaborent dans leurs doctrines religieuses la condamnation du blasphème, c’est-à-dire l’insulte faite à Dieu, ce dernier est particulièrement développé par le catholicisme qui dans les premiers siècles est en lutte contre ce qu’il nomme les hérésies. Le pouvoir royal médiéval se légitime en affirmant sa source divine, que traduit la symbolique du sacre des rois de France à Reims, dans laquelle le monarque est réputé guérir des malades par l’imposition des mains selon la formule “le roi te touche, Dieu te guérit”. L’Etat récupère la notion de sacré pour étendre son pouvoir en réprimant la contestation par le crime de “lèse-majesté”. Cet usage politique de la notion de sacré se poursuit tout au long du Moyen-âge et de la Renaissance, et prend une tournure particulière lorsque sont commis les premiers régicides : le meurtre d’Henri III puis d’Henri IV au cours des guerres de Religion. 

Le développement de la Réforme protestante s’accompagne de l’essor d’un humanisme favorable à la tolérance religieuse et aux débuts de l’expression d’une pluralité politique remettant en cause la sacralité du pouvoir. Les Lumières se trouvent confrontés à ce qui est de plus en plus perçu comme un archaïsme, à l’image de l’exécution du chevalier De La Barre en 1766, coupable de ne pas avoir enlevé son chapeau au passage de Louis XV. Cet événement choque notamment Montesquieu. La Révolution française met fin à ce sacré royal, en supprimant les crimes de blasphème et lèse-majesté, et en imposant la constitution civile du clergé aux prêtres catholiques. A l’issue des fortes tensions révolutionnaires, Napoléon Bonaparte, alors premier consul, promulgue le Concordat en 1801, dans lequel l’Etat salarie les représentants des cultes en reconnaissant formellement leur existence. Ce système perdure au cours du XIXème siècle et s’applique y compris dans les colonies, comme le montrent les fiches de paie d’imams algériens dans les années 1860. 

La IIIème République constitue un tournant décisif pour les rapports entre l’Etat et le sacré par la loi de 1905 relative à la séparation des Eglises et de l’Etat, qui marque la naissance juridique et symbolique de la laïcité à la française. Se déploie en outre un sacré républicain. En constituent par exemple la fête nationale, les hommages nationaux et d’autres dimensions méconnues – comme l’existence d’un délit d’offense au chef de l’Etat créé par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, qui punit celle-ci de 45 000 euros d’amende, et qui fut abrogé en 2013. Cette sacralité républicaine reste cependant controversée, comme l’indique l’exposition. Elle fait l’objet de remises en cause symboliques comme siffler la Marseillaise lors d’un match de football voire plus violentes comme les dégradations commises sur l’Arc de Triomphe abritant la tombe du Soldat inconnu en marge d’une manifestation des gilets jaunes en décembre 2018. 

Mais c’est du côté de la laïcité que surgissent depuis les années 1980 de nouvelles tensions – ainsi des catholiques intégristes souhaitant empêcher la diffusion de films, des débats sur le port du voile dans les établissements scolaires à partir de l’“affaire de Creil” de 1989, et plus tragiquement les attentats islamistes liés aux caricatures du prophète Mahomet contre Charlie Hebdo en 2015 et l’assassinat du professeur Samuel Paty en 2020. Ces événements posent la question du rapport entre le respect des libertés de conscience, d’expression et les ressentis personnels des individus. Ces situations font l’objet de débats très vifs et passionnels. Si l’exposition ne tranche pas ces questions éminemment politiques, elle n’en donne pas moins des clés de lecture historiques pour comprendre l’évolution du rapport entre Etat et sacrilège. Des relations souvent faites de compromis évolutifs, pour articuler sinon spirituel et temporel, du moins différentes conceptions de ce qu’une société tente, dans un contexte spécifique – de sanctuariser.

Informations pratiques : exposition jusqu’au 1er juillet 2024. 60 rue des Francs-Bourgeois, Paris 4ème. Entrée gratuite. 

Crédits Photo : La mort de Socrate (condamné à s’empoisonner pour avoir porté atteinte aux dieux), par Jacques-Philippe-Joseph de Saint-Quentin, 1762. École nationale supérieure des Beaux-Arts. Beaux-arts de Paris / RMN- / Agence photo de la RMN-GP. Lepoint.fr