Frédéric Mion : « à ce stade, je suis prêt à 200% pour un second mandat »

Photographie : Amal Ibraymi
Photographie : Amal Ibraymi

Frédéric Mion nous a reçus dans son bureau afin de faire un premier bilan de l’opération « Meet the Dean ». L’occasion également de s’intéresser à ses engagements, son parcours et son expérience de directeur de Sciences Po. Il a accepté de répondre à nos questions quant à la polémique liée à la non-venue d’Eric Zemmour, sur son avenir à Sciences Po et son parcours professionnel.  

Depuis Roger Seydoux, premier directeur de Sciences Po post-45, les directeurs sont restés en moyenne quatorze ans à ce poste. Vous, en quatorze ans, vous avez été maître de requêtes au Conseil d’Etat (2000), conseiller au cabinet du ministre de l’Education Nationale, adjoint au directeur général de l’administration et de la fonction publique (2003), avocat, secrétaire général de Canal + et enfin directeur de SciencesPo. Bref, il semble que vous n’aimez pas vous enfermer dans un même poste trop longtemps. Est ce que vous vous imaginez cependant rester directeur de Sciences Po aussi longtemps que vos prédécesseurs ? 

En la matière, vous savez que les choses sont en cours d’évolution du point de vue statutaire. Dans les nouveaux statuts de Sciences Po que les conseils ont adoptés et qui seront publiés dans le courant de ce semestre, nous avons posé comme principe le fait qu’un directeur ne doit pas faire plus de deux mandats, sauf situation exceptionnelle qui pourrait conduire les deux conseils de Sciences Po à une majorité qualifiée, à demander au directeur d’effectuer un mandat supplémentaire.

Cela signifie qu’en principe, désormais, aucun directeur ne pourra rester en fonction plus de dix ans, ou exceptionnellement quinze. Ces limites clairement posées nous rappellent qu’on ne doit jamais se sentir propriétaire d’un poste et que les institutions gagnent à attirer régulièrement du sang neuf, y compris dans les fonctions de direction les plus importantes.

En principe, je n’ai donc pas vocation à rester plus de dix ans à Sciences Po, sauf s’il se passe quelque chose qui conduirait  à ce qu’on me demande de rester cinq années supplémentaires.

En principe, je n’ai donc pas vocation à rester plus de dix ans à Sciences Po, sauf s’il se passe quelque chose qui conduirait  à ce qu’on me demande de rester cinq années supplémentaires. Mais, 10 ans, c’est déjà une belle longue période de temps. Pour l’instant, je suis dans la première moitié de mon premier mandat, qui est de 5 ans.

J’ai été nommé en 2013 et ce mandat s’achève en 2018. Je trouve mon métier absolument passionnant, et je crois important de l’exercer dans la durée. Comme toute institution, la nôtre a besoin d’un peu de temps pour évoluer : il serait illusoire de prétendre accomplir quelque chose d’important dans un grand établissement universitaire dans un laps de temps trop bref. J’effectue donc ce premier mandat de 5 ans, et on verra si dans trois ans, les conseils de Sciences Po auront envie de me faire confiance pour un second mandat.

Vous seriez donc prêt à vous présenter pour un second mandat ? 

A ce stade, oui, à 200 %. Mais serai-je toujours aussi fringuant dans trois ans ? Et vous l’avez compris, faire un second mandat, cela ne dépend pas que de moi. Il faudra que les conseils en décident ainsi.

Votre parcours professionnel, on l’a vu, est extrêmement riche et varié. Quel est l’objectif final de cette carrière ? Souhaitiez-vous exercer un métier spécifique à l’origine ? 

Un métier, sans doute pas véritablement. Il y a des thèmes et des préoccupations récurrents qui ont marqué différents moments du parcours. J’ai eu une formation initiale relativement généraliste à Normale Sup puis ici. A la sortie de l’ENA, j’ai choisi un corps de sortie qui ouvre à une très large palette de fonctions : bien sûr, le Conseil d’Etat est un organe juridictionnel, une maison centrée sur le droit, mais les carrières de ses membres sont très variées.

Ce qui est sûr, c’est que, dans mon parcours, j’ai eu à cœur de saisir cette chance incroyable de pouvoir rebattre régulièrement les cartes. Par exemple, j’ai beaucoup aimé mon métier d’avocat. J’étais dans un très beau cabinet où j’avais une situation passionnante d’associé. Le confort aurait pu consister à persévérer dans cette voie.

« J’ai beaucoup aimé mon métier d’avocat, j’étais dans un très beau cabinet (…) Le confort aurait pu consister à persévérer dans cette voie. Mais un jour, quelqu’un vous appelle et vous propose quelque chose de nouveau »

Mais un jour, quelqu’un vous appelle et vous propose quelque chose de nouveau. En l’occurrence c’était Canal Plus. Et je pense que là, justement, la question à se poser c’est : « Est ce que j’ai envie de saisir cette chance de rebattre les cartes ? » Cette chance, je pense qu’elle m’a été offerte précisément parce que ma formation généraliste pouvait me prédisposer à différents types de fonctions et de structures.

Croyez-moi  ça vaut la peine de tenter l’aventure parce que c’est une façon de se « retester » soi-même, de faire des choses nouvelles, d’être confronté à des types nouveaux de difficultés, des types nouveaux d’exaltation. Ma tendance a toujours été de répondre positivement à ce type de sollicitations.

S’il faut donc trouver un fil conducteur, c’est que à tous les moments de mon parcours, je me suis autorisé à être attentif aux propositions et à saisir celles qui paraissaient intéressantes, a fortiori les plus surprenantes.

Frédéric Mion avec des étudiants de Sciences Po lors du Bal du Bachelor.
Frédéric Mion avec des étudiants de Sciences Po lors du Bal du Bachelor.

Entre tous ces postes que vous avez occupés depuis 2000, quelles étaient les plus belles années de votre carrière avec le recul ? 

Le plus beau métier, c’est celui que je fais aujourd’hui. Cela ne fait aucun doute. Mes précédents postes ont tous été passionnants dans des registres très différents, mais ce que j’ai la chance de faire aujourd’hui, pour rien au monde je ne voudrais la laisser à un autre. 

Politiquement, vous ne vous êtes jamais publiquement affiché. Est-ce que l’ancien membre du cabinet du ministre de l’Education Nationale et le directeur de la plus grande école de sciences politiques de France que vous êtes serait un jour partant pour s’engager en politique ? 

Très sincèrement, non. On peut bien sûr démarrer une carrière politique à divers stades de son parcours. Mais l’expérience montre quand même que les gens qui ont vraiment la vocation de la politique se lancent un peu plus tôt que je ne serais susceptible de le faire. J’ai 45 ans, il serait vraiment urgent que je m’y mette si j’estimais que c’était ma voie !

« Très sincèrement, non, je ne suis pas partant pour m’engager en politique ».

C’est une voie extraordinairement exigeante que celle de l’engagement politique si on veut s’y consacrer pleinement. J’ai un respect infini pour les gens qui font ce choix aujourd’hui parce que je mesure, pour en connaître un certain nombre maintenant, ce que ce choix suppose de renoncements, de sacrifices personnels, matériels, de toute nature.

Consentir ces sacrifices est d’autant plus remarquable aujourd’hui que la fonction politique est sans doute moins bien considérée qu’elle ne l’a jamais été. Nous savons tous que nos élites notamment politiques subissent un discrédit, dont nous travaillons d’ailleurs à Sciences Po à analyser les causes : pour la grande majorité des individus qui sont engagés dans ces parcours c’est un discrédit très injuste.

Richard Descoings s’était vu proposer le ministère de l’Education Nationale par Nicolas Sarkozy en 2009. Si demain, François Hollande vous proposait de devenir ministre de l’Education, accepteriez-vous ? 

Ce scénario relève d’une fiction très audacieuse. Si en effet la proposition avait été faite à Richard Descoings, il y a avait une raison à cela, c’est qu’il avait un bilan absolument remarquable à la tête de Sciences Po. Il avait conduit la mission sur la réforme du lycée.

Il y avait donc probablement dans l’esprit de ceux qui ont fait cette proposition l’idée d’une continuité et que le parcours de Richard était suffisamment dense et solide pour qu’on pense à lui pour d’aussi éminentes fonctions.

Honnêtement, à ce stade, je me sentirais surtout très peu légitime pour ce type de responsabilités. J’ai heureusement beaucoup trop de choses à faire ici pour songer à tout autre type de responsabilité, a fortiori une responsabilité de cette nature.

Pour finir, La Péniche a souhaité, comme les élèves qui vous rencontrent lors de la campagne Meet Frédéric Mion, vous poser une question en tant qu’association. Depuis la rentrée scolaire, l’article de La Péniche qui a eu le plus de lecteurs est celui qui dévoile le refus de l’administration d’accueillir des invités comme Eric Zemmour et Jean-Luc Mélenchon, qui sont des personnalités controversées. Cet article a été lu par plus de 9 000 personnes. A titre personnel, êtes-vous opposé à l’organisation de conférences avec des invités qui pourraient déclencher la polémique ? 

Je crois que là-dessus, il faut éviter de lire plus dans les événements que ce qu’ils signifient. Soyons très clairs : Sciences Po est et doit demeurer, plus que jamais notamment à la lumière de ce qui s’est passé en janvier (attentats contre Charlie Hebdo), un lieu de libre expression de tous les points de vue, pour autant que ces points de vue soient respectueux de la légalité républicaine et du socle de valeurs qui fondent notre vie ensemble. Je n’ai pas du tout le sentiment que Jean-Luc Mélenchon sorte du cadre que je viens de définir.

Ce à quoi nous devons simplement être vigilants, ce sont les conditions de sécurité que nous pouvons assurer lors de la venue de personnalités susceptibles de déclencher des manifestations d’hostilité, des mouvements qui pourraient nous échapper.

Dans ce cas, je m’en remets, parce que c’est leur rôle et que là-dessus on ne peut pas plaisanter, à l’expertise et au conseil des équipes de la sécurité, de la direction des services généraux et de l’immobilier et de la direction de la vie universitaire. Et, c’est en prenant en considération  ces éléments qu’on peut parfois décider qu’il n’est pas opportun qu’une personne vienne à Sciences Po à un certain moment, comme il a pu être décidé en d’autres temps que des représentants du Front National ne viendraient pas à Sciences Po.

A l’inverse nous avons, pour ne citer qu’un exemple, accueilli le cardinal Barbarin  au moment de la polémique sur le mariage pour tous. A chaque fois, nous sommes tenus de faire un petit examen de la situation d’ensemble.

One Comment

  • Mitu

    « Frédéric Mion nous a reçu (sic)… »

    Je constate que vous persévérez.

    Franchement, mon grand-père ne faisait pas ce genre de faute. Et il était maçon.