LE MAG – Harvey Milk, Hunger & No : le militantisme politique au cinéma

Après trois avis sur un même film , un avis sur trois films! Désormais,  La Péniche vous propose le coup de coeur de la rubrique ciné. Qu’il s’agisse d’un film, d’un thème ou d’une personnalité du 7ème art (ou plus encore!), vous pourrez retrouver chaque semaine une sélection des critiques de la rédac.

Aujourd’hui, Claire Schmid vous présente le militantisme politique en choisissant trois films primés de réalisateurs contemporains, qui relatent trois périodes historiques différentes et mettent en avant deux personnages historiques (Harvey Milk et Bobby Sands) et un personnage fictionnel (René Saavedra) inspiré de publicitaires chiliens lors du référendum de 1988 au Chili.

 

Harvey Milk, de Gus Van Sant (2008)

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1978, San Francisco. Harvey Milk relate sa vie sur un magnétophone, envisageant la possibilité de son assassinat. Il en restera cette phrase demeurée célèbre : « Si une balle devait traverser mon cerveau, laissez-la briser aussi toutes les portes du placard. » Premier homme politique affichant ouvertement son homosexualité à être élu à des fonctions officielles, c’est sa lutte pour l’égalité des droits des homosexuels qui a défini son existence. Lorsqu’il part s’installer à San Francisco pour vivre ouvertement son amour avec son partenaire, il devient le mentor de jeunes militants, son activisme pour la cause gay le rend de plus en plus populaire, il se lance dans la politique en se présentant aux élections municipales de la ville…

Harvey Milk rompt totalement avec certains longs métrages de Gus Van Sant, tels que les impressionnants mais moins accessibles Elephant ou Paranoid Park. Harvey Milk est un film à Oscars. La réalisation est parfaite, d’un académisme presque froid par moment, la musique de Danny Elfman porte magnifiquement le film et la performance des acteurs est un des atouts majeurs de cette œuvre. Outre celle de l’acteur principal, on retient des seconds rôles remarquablement interprétés par Emile Hirsch, James Franco ou Josh Brolin.

«  Je m’appelle Harvey Milk et je suis là pour vous mobiliser ». Performance vibrante de Sean Penn, qui impressionne à la fois par son mimétisme et par le charisme et la force qu’il inculque à son personnage. Harvey Milk nous dépeint à l’aide d’une grande documentation l’Amérique des années 1970, et marque par sa portée didactique : toute la démarche de Milk pour faire échouer la proposition qui visait à interdire le métier d’enseignant aux homosexuels est décrite avec une grande précision.

Son destin personnel est porté par l’énergie collective retentissante dépeinte dans ce long métrage, notamment dans la scène finale exposant une marche dans San Francisco, qui mélange fiction et reportages de l’époque, dégageant une force et une émotion incroyables. Harvey Milk est bien plus qu’un film sur la cause homosexuelle, c’est un film sur la lutte politique, c’est aussi bien plus qu’un biopic, c’est un hommage bouleversant.

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Hunger, de Steve McQueen (2008)

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1981, Irlande du Nord. A la prison de Maze, les séparatistes de l’IRA entament une grève de l’hygiène. Ces détenus souhaitent faire reconnaître au gouvernement britannique un statut politique à leur détention. Radicalisation, émeutes, meurtres…la violence se répand peu à peu dans la prison, le personnel n’est plus en sécurité. Bobby Sands, leader de ce mouvement, décide de commencer une grève de la faim pour accentuer cette opposition.

Hunger est une claque visuelle, esthétique, scénaristique, une claque cinématographique. Les caractéristiques inhérentes à la réalisation de ce grand artiste, en particulier son affection pour les plans fixes longs voire interminables, y sont pour beaucoup. C’est dans un état de contemplation étrange que le spectateur se plonge à de nombreuses reprises : plans sur les cellules souillées suite à la grève de l’hygiène des détenus, plan sur les mains du gardien ensanglantées et plongées dans l’eau, plan sur le corps méconnaissable de Michael Fassbender qui interprète un Bobby Sands après des semaines de grève de la faim… Autant d’images esthétiquement parfaites mais ignobles par ce qu’elles représentent.

Le tour de force a véritablement lieu au milieu du film, à la suite d’une scène d’une intensité rare dépeignant les émeutes menées par les membres de l’IRA au sein de la prison, Steve McQueen intègre un plan séquence d’une vingtaine de minutes : Bobby Sands et un prêtre sont accoudés à une table, noyés dans les volutes de fumées de cigarettes et s’entretiennent sur le fait de savoir si la cause justifie qu’on meure pour elle. Dans ce moment où le temps semble se dilater complètement, dans des dialogues d’une grande profondeur, on perçoit combien la position de Sands semble extrême.

L’atmosphère de Hunger est indéfinissable, on se retrouve plongés dans cette prison, où plane la voix de Tchatcher rappelant ses positions sur la question des militants séparatistes, alors qu’elle n’apparaît jamais à l’écran. McQueen s’approprie tous les outils cinématographiques imaginables, en appelle sans cesse à l’interprétation du spectateur. Hunger est un film qui prend au cœur et qui reste en mémoire.

 

No, de Pablo Larrain (2012)

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1988, Chili. Augusto Pinochet au pouvoir depuis son coup d’Etat de 1973 est contraint de consulter le peuple chilien au sujet de son maintien au pouvoir. L’opposition a le droit de s’exprimer quotidiennement à la télévision, les partisans du « No(n) » font appel au service de René Saavedra pour monter leur campagne. Il choisit d’axer celle-ci sous le signe de la joie, de l’espoir, de l’humour, qui surprendra à la foie ceux attachés au régime et ceux voulant mettre fin à la dictature. Il décide de conserver ce parti-pris qui s’avèrera d’une grande efficacité, tout en étant confronté à des pressions et à des intimidations de plus en plus importantes.

C’est la réalisation particulière de No qui marque immédiatement le spectateur : caméra « à l’épaule », gros grain, rendu VHS, on a l’impression de visionner un reportage de l’époque. Après quelques minutes, on s’habitue à ce format déroutant, qui donne finalement un grand charme à ce long métrage et qui permet une fusion pertinente entre des images d’archive et le travail du réalisateur.

Ce qui charme dans No, c’est aussi l’originalité de son sujet, c’est cette façon de parler du militantisme politique. Histoire vraie, bien que certaines personnes à la sortie du film aient souligné le fait que cette campagne était sans doute trop mise en avant, qu’elle semblait être traitée comme le véritable déclencheur de la remise en question du régime alors que cela peut être discutable historiquement.

Mais ce parti-pris permet de faire de ce publicitaire (excellent Gael Garcia Bernal) la figure centrale du film, personnage passionné et passionnant par ses contradictions, son ambivalence et son engagement : il est chargé de la campagne du « non » en étant apolitique et finit par être totalement impliqué dans cette opposition. No est un film enthousiasmant, souvent drôle qui met en avant la manière dont la communauté peut être raisonnée, non pas seulement en la martelant des chiffres sur la violence du régime et ses victimes, mais en la galvanisant.

On en sort le sourire aux lèvres, après cette mise en lumière de la réappropriation progressive de la démocratie par un peuple, après cette mise en scène étrange mais dont émane une immense douceur, en fredonnant les chants festifs qui rythment ce film original et lumineux.