Journée Dédicaces : D’un auteur à l’autre

Journee_dedicaces_3.jpg «J’ai fait de délicieux voyages, embarqué sur un mot». Sur toutes les affiches, placardée sur les murs de Sciences Po, Balzac incite au voyage, à la découverte, à travers les mots et les livres. Au-delà du voyage, le BdA offrait samedi 5 décembre un véritable échange ; auteurs, visiteurs, assistants, réunis autour d’une histoire, d’une idée, d’un voyage, d’un livre tout simplement. La Péniche vous propose de prolonger la magie de la journée, de recueillir les impressions, de voyager encore un peu. Et qui sait, de vous attirer assez pour que la prochaine journée dédicaces soit aussi votre voyage.

Onze heures. Aucun invité n’est encore arrivé, mais le hall bouillonne d’animation. L’équipe est sur le qui-vive : il faut installer les tables et le décor, expliquer aux assistants les détails de leur tâche, donner à chacun les cadeaux pour les auteurs, réunir les livres dans les salles de stock aux étages dédiés. Partout, les murs et les escaliers sont déjà décorés de citations et de photographies, simplement scotchée. Les gens s’affairent. Les assistants s’installent à leur place et discutent. L’accueil est prêt à orienter auteurs & visiteurs. Bientôt, quatorze heures et le début des animations.

Certains sont des habitués. Au troisième étage, Jean-François Batellier, arrivé en avance, installe autour de sa table ses caricatures. «Je suis déjà venu l’année dernière, et il y a quatre ans. C’est tellement amusant de se retrouver dans son école, c’est une ambiance différente des séances dédicaces des autres endroits.» L’ancien sciences-piste se permet quelque nostalgie en désignant les caricatures qui tapissent maintenant le mur et le couloir : «Je dessinais au fur et à mesure de l’année pour le PSU et placardais les dessins partout dans Sciences Po. J’étais le seul qui savait dessiner. Il y avait des affiches et des caricatures partout sur les murs. J’essaye de retrouver des photos de l’époque, c’était très différent».

On quitte M. Batellier et ses imposantes affiches pour se balader dans l’IEP le stylo à la main, en compagnie d’Aurélien et de son appareil photo dont le flash ne cesse d’éblouir les visiteurs. L’ambiance demeure calme, presque trop en ce début d’après-midi. Las ! La littérature n’attirerait-elle plus personne ? Le stand d’Alain Blottière, dont c’est la première participation, nous oblige à faire un tout autre constat. Il faut en effet prendre son mal en patience pour réussir à s’approcher de l’auteur. Celui-ci, enchanté d’avoir un public plus jeune qu’à l’accoutumée, répond avec cordialité à notre question sur son dernier ouvrage Le tombeau de Tommy, roman historique construit en plusieurs plans, ou un réalisateur de cinéma raconte l’adaptation de la vie d’un résistant juif hongrois en France, lors de l’occupation allemande, et le dur poids de ce rôle pour l’acteur.

Après avoir quitté M. Blottière, nous montons (par l’ascenseur, que personne ne songe – bizarrement – à utiliser) au dernier étage, dans l’espoir de rencontrer Jacques Attali. Celui-ci n’est pas encore arrivé et l’on craint qu’il ne vienne pas du tout, à l’instar de Claude Lanzmann, Plantu, Sempé et quelques autres qui ne peuvent honorer Sciences Po de leur présence. Mais trêve de bavardages : un personnage fascinant, ceint de toutes part par des bagues, des colliers et des montres, semble avoir dans le coin droit de la salle une conversation passionnante avec son assistante. Nous nous approchons, impavides : c’est que Brigitte Giraud est un de ces auteurs dont l’oral est aussi prolixe que l’écrit. Son dernier livre, qu’elle nous présente avec force détails, narre l’histoire d’une jeune fille française qui part pour l’Allemagne durant les années 80 comme fille au pair. Ce n’est pas simplement l’idée de fuite qui intéresse l’auteur : elle a aussi décidé d’écrire autour du thème de l’altérité et du rétrécissement intellectuel qu’implique le fait d’être non seulement allogène mais aussi allochtone…

L’on continue de voyager. Pierre Stasse, dans la même salle, revient sur son parcours atypique. Jeune diplômé de Sciences Po, il se fait remarquer en gagnant le concours Nouvelles & Poésie, et participe maintenant à la Journée Dédicace de son école pour son premier ouvrage, Les Restes de Jean-Jacques. Très inspirée, son assistante nous résume le livre, pendant que l’auteur parle de son projet d’amener plus de cours de littérature à Sciences Po. Honnête et soigné, son ouvrage est une «formidable histoire humaine», une rencontre entre plusieurs personnages atypiques mais attachants.

Pierre Stasse n’est cependant pas le seul auteurs présents pour son premier livre, et dont la jeunesse s’affiche aussi clairement. En remontant dans les salles du deuxième, nous rencontrons Camille Bordas, seulement âgée de vingt-deux ans. A côté du stand de Raphaël Enthoven assailli par les visiteurs, celui de la jeune auteur reste calme. A ce sujet, l’auteur plaisante : «C’est peut-être une bonne idée de mettre dans la même salle des gens actifs et d’autres non, n’est-ce pas ? Cela fait du passage.» Son premier ouvrage, dit-elle, est le «fruit d’un hasard bien tombé». Conseillée par un ami traducteur, elle n’a pas eu à envoyer son texte à plusieurs maisons d’édition et souffrir des lettres de refus. Rejoignant le thème de la journée, son livre Les treize desserts évoque le voyage, l’inconnu, la découverte. Sa jeune héroïne, suite à la mort de ses parents, emménage chez un frère qu’elle ne connait pas, dans une ville qu’elle connait mal. Une nouvelle vie.

Roulement de tambours : profitant d’une accalmie dans le flux de fans, nous nous dirigeons vers Raphaël Enthoven. «Raphaël a l’air d’un sage et ses paroles sont de velours», chantait à son sujet une certaine Carla. L’auteur-chroniqueur-philosophe nous accueille avec le sourire, bien qu’il soit constamment obligé de s’interrompre pour répondre aux demandes pressantes de ses lecteurs. Il trouve quand même quelques minutes pour discuter avec nous. Enthoven est normalien, mais il a enseigné la philosophie politique à l’IEP (dans la même salle, dit-il, où nous nous trouvons). On se demande ce qu’on pourrait lui demander sans avoir l’air trop bête. Finalement nous lâchons : à votre avis, est-ce qu’on naît philosophe ? Les cinq secondes d’hésitation sont une torture, on se demande si la question est bien passée. Enthoven finit par citer Heidegger, après un grand soupir et avec un air affecté : «quand on naît, on est assez vieux pour mourir». Selon lui, l’être humain évolue en fonction de la rencontre de la nécessité (c’est-à-dire de séries causales) et des contingences. En somme, la naissance elle-même déterminerait l’entrée en philosophie. Et tant pis pour tous ceux qui pensent que justement, la philo, c’est comme son nom l’indique l’amour du savoir plus qu’une cléricature.

Le photographe s’éclipse pour rejoindre la cafétéria, où se déroule le débat organisé par Sciences Po TV. Le sujet du débat portait autour de la crise de la culture. Le problème était de savoir si la crise économique affectait les pratiques culturelles des français, ou si internet changeait le rapport à la culture en général. Plusieurs auteurs de la Journée participèrent au débat : les journaliste Alain Minc et David Abiker, le philosophe Roger-Pol Droit et l’intellectuel Alain-Gérard Slama, accompagné de deux élèves de Sciences Po membre de l’association. (http://www.sciencespotv.fr)

Premier commentaire négatif sur la journée Gisèle Halimi. «Ce n’est pas la première fois que je viens, moi, je le fais par fidélité. Mais je ne suis pas très contente regardez, cette année, je suis dans une petite salle, avant j’ai toujours été dans le grand hall. Les gens viennent juste pour un livre, une signature, l’échange est assez limité.» D’autres la contrediront. Gisèle Halimi nous parle ensuite de son rapport particulier avec la littérature, très partisan. Elle le voit comme un moyen émancipateur, notamment vis à vis des femmes, qu’elle vise à travers ses écrits. «Il ne faut jamais se résigner, il y a toujours la possibilité de se relever. Sinon, cela revient à renoncer à sa propre vie, quelque part.» Moment d’introspection et d’isolement, l’écriture lui permet aussi de se ressourcer, de se retrouver, loin des autres. De travailler les mots, de sentir leur couleur et leur son.

On retente notre chance en Leroy Beaulieu, espérant y trouver Jacques Attali. L’homme est présent, discutant avec l’auteur voisine, qui a participé à l’un de ses ouvrages. Décontracté, Attali commence son intervention sur le ton de la rigolade «C’est ma 83ème Journée dédicaces» affirme-t-il d’un air faussement sérieux. Le rapport que le personnage à avec l’écriture lui correspond plutôt bien ; il nous explique que, selon lui, le rôle de l’écriture est de transmettre un savoir, d’apprendre quelque chose au lecteur. On lui demande ensuite quelques précisions sur son dernier ouvrage, Dictionnaire amoureux du judaïsme. Attali saisi l’ouvrage, le regarde distraitement. Puis s’exclame «Oh vous savez, c’est un livre écrit sur commande. Mais cela est plutôt bien tombé, il correspondait à mon état d’esprit. Vous savez, j’essaye d’écrire ce que j’aimerais lire, il s’agissait donc ici de faire un point sur ma culture personnelle, l’approfondir et la transmettre, surtout la transmettre.» Retour à l’idée de l’échange, de transmission. La boucle est bouclée, et l’auteur nous sourit une dernière fois.

Grisant, tout de même, de pouvoir demander à un tel personnage quelle est sa vision du monde. C’est en quelque sorte ce que nous faisons avec Roger-Pol Droit, dont la sympathie nous émerveille réellement. Habitué de la JD, littérateur, penseur de renom et enseignant à Sciences Po depuis six ans, il considère – à l’inverse de Raphaël Enthoven – que l’entrée en philosophie n’est pas une nécessité. Chaque être humain est doté de ce que Descartes appelait le bon sens : réfléchir, c’est non seulement avoir des idées mais être capable de les examiner avec un œil critique. Ainsi, tout le monde peut philosopher mais peu de personnes mettent en œuvre la dynamique intellectuelle nécessaire. Par ailleurs, cette dynamique s’apprend, elle n’est pas innée. Cela nous pousse à demander à M. Droit si le philosophe a une fonction dans la société et s’il existe une «fonction de philosophe», question à laquelle il répond en deux temps. «Il a d’une part la fonction d’éliminer les fausses idées, les faux-semblants. Selon la définition de Socrate, le philosophe montre le faux. D’autre part, il a une fonction plus existentielle, de modification et de connaissance de soi-même et des autres. C’est pourquoi l’écriture, comme la réflexion, n’est pas un acte totalement égoïste : on n’écrit jamais réellement pour soi-même et personne d’autre, quoi qu’on en dise.» L’allocutaire réel, fantasmé ou imaginaire est toujours là. «L’écriture sert aux autres en ce qu’elle incite à penser, qu’elle propose une piste de réflexion intéressante. Je n’aime pas trop ces auteurs qui se photocopient la gueule ou narrent leurs malheurs dans le seul but de s’éviter une tranche de psychanalyse.»

A l’étage inférieur, nous débutons une longue conversation avec Christine Orban, dont le dernier ouvrage N’oublie pas d’être heureuse vient de paraître chez Gallimard. Elle commence à parler d’un air éthéré : «J’aime beaucoup signer dans les écoles, au milieu des jeunes. J’enseigne dans des classes de troisième ou de quatrième dans des lycées ZEP. Je pense vraiment que les mots peuvent aider à se cultiver, à s’apaiser, et j’ai rencontré d’ailleurs de bons résultats dans des classes difficiles. Les dédicaces dans les écoles sont pour moi une priorité : les gens se confient, c’est un vrai moment de partage. Les lecteurs qui me rencontrent se rendent compte que j’essaye de comprendre au mieux la vie, d’apprendre à vivre ; ils viennent pour témoigner de leurs expériences, et ce sont des moments très riches».

«L’absence, l’attente et le silence sont des sujets qui me sont chers», reprend-elle. «N’oublie pas d’être heureuse m’a pris pas mal de temps car je devais pour avancer retourner à l’âge difficile des choix : on fait tous des choix dans des moments essentiels, tout en étant parfois en proie à la fragilité ; on doit croire, être confiant alors qu’on ne connait pas grand chose de la vie. Il faut avoir le courage de choisir sa voie, de se lancer. Pour moi, ce départ, ça a été l’écriture». Contrairement à Gisèle Halimi, Christine Orban pense que parfois, les mots peuvent devenir dangereux parce que l’écriture happe, elle constitue une réalité à part entière, une seconde vie. Mystérieuse, Orban conclut : «il y a un temps pour vivre et un temps pour écrire. Dans mon cas, il y a plus de place accordée à l’écriture, parce qu’elle a ma préférence. Vous voyez, je reste chez moi, avec mon chien et du thé chaud ; je suis bien, je ne me sens jamais seule grâce à mes personnages».

Nous sommes assez fatigués mais pensons que ça ne serait pas mal de conclure sur une note un peu plus martiale, un peu moins rose-bonbon. Nous allons donc interroger Jean-Louis Bruguière, célébrissime juge anti-terroriste (il s’est occupé notamment des attentats du RER B et de la rue des Rosiers). D’entrée de jeu – c’est la déformation science-piste, mention service public, qui refait surface – nous cherchons à savoir si Bruguière envisage la magistrature comme un sacerdoce. Pan dans l’œil ! Pas vraiment : «la magistrature est une mission régalienne : il faut débrouiller les liens entre la politique et la justice pour prouver qu’il n’existe aucune politique arbitraire en matière de terrorisme, seulement des réponses légales. C’est une mission importante». Et pourquoi avoir décidé d’écrire ? «Dès que j’ai quitté mes fonctions, j’ai décidé d’écrire. On m’a fortement incité, mais j’ai vite réalisé l’intérêt de mon témoignage. Il est construit sous forme de réflexion, d’explication des phénomènes géopolitiques contemporains, notamment des erreurs qui ont pu être commises». Ne cherchez pas cependant un cours d’anti-terrorisme dans les pages de cet ouvrage : c’est un livre personnel, d’analyse non-académique.

Refermons ici les pages de ces délicieux voyages. Tous ne sont pas cités – nous ne reviendrons pas sur l’insolence de Patrick Poivre d’Arvor trop pressé pour nous accorder quelques instants – mais l’esprit de la Journée Dédicaces est là : ces rencontres et moment particuliers vécus dans le cadre de l’école. La Journée se termine avec un cocktail réunissant les auteurs, les assistants et l’équipe du BdA autour de fours et de coupes de champagne. Cette année encore, l’évènement a connu un bon succès. En attendant l’année prochaine.

Article rédigé par Agathe Mouquet & Romain Simon Cazzato.

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