La Géorgie et la bicyclette

histoire_bicyclette.jpg« Quand on est sur une bicyclette, il faut continuer à pédaler« . Mikheïl Saakachvili peut lui aussi être poète. Le président géorgien, en visite à Paris pour trois jours, a déclamé ces vers mardi 8 juin dernier, à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, devant une assistance presque admirative et surtout curieuse d’avoir des informations sur ce « lointain » pays du Caucase.

Vantant une Géorgie en progrès constant, il s’est attaché à démontrer que son pays était un Etat de Droit en construction. C’était d’ailleurs le thème qu’il avait choisi lors de cette conférence intitulée « La Géorgie : laboratoire démocratique dans l’espace postsoviétique« . Le titre parait pompeux et peut-être même hypocrite vis-à-vis des critiques des ONG concernant les atteintes aux droits des minorités. Interrogé à ce sujet par un participant, le président géorgien a affirmé qu’elles « n’existent pas« .

L’homme de la « révolution des roses » de 2003, qui l’a porté au pouvoir le 4 janvier 2004 (avec 96% des voix), a avant tout cherché à montrer les atouts de son pays et les changements qu’il avait initiés. Dépeignant une situation misérable à son accession au pouvoir, avec seulement « quelques heures d’électricité par jour« , de la corruption et « pas d’Etat réel, ni d’institutions réelles« , M. Saakachvili a affirmé que sa première tâche avait été « la création d’un Etat de Droit« . Le président a alors vanté ses actions, dès sa prise de fonction avec le renvoi de la quasi-totalité de la police qui « créait la délinquance« , au tournant libéral de son économie en passant par l’industrie touristique du pays, en plein développement. Prenant le contre-pied de ses opposants, notamment Chalva Natelachvili (le président du Parti travailliste géorgien) qui avait déclaré que son parti luttait contre la « dictature« , M. Saakachvili a affirmé que « chaque individu peut trouver sa place dans cette nation multiculturelle qu’est la Géorgie« .

Mais cette vision quelque peu idéaliste de la situation a ses limites. Le président a alors enlevé ses habits de promoteur immobilier pour endosser ceux de l’avocat, plus familiers à cet homme de 43 ans qui a étudié le Droit aux Etats-Unis et exercé un temps le métier. « Ils ont détruit la culture« , assène-t-il. « Ils« , ce sont les Russes qui dans la nuit du 7-8 août 2008 ont riposté à l’attaque de la Géorgie et envahi le pays. Le président géorgien a décrit une situation de fuite importante de la population en Abkhazie et en Ossétie du Sud après cette invasion, en déclarant que « seuls les vieillards n’ont pu fuir« . M. Saakachvili a employé tous les mots qu’il pouvait contre les Russes, ces « brigands« , ces « sauvages » qui ont usé d’un « prétexte » pour envahir le pays et donner leur indépendance aux deux régions en conflit avec Tbilissi peu après son élection en 2004. Le « prétexte russe« , ce fut le rapprochement progressif de la Géorgie avec l’OTAN et l’Union Européenne (UE). Ce réchauffement s’est fait plus agaçant pour la Russie, en quête de suprématie dans la région, en avril 2008 lors du sommet de Bucarest de l’OTAN: l’Organisation a alors décidé que « l’Ukraine et la Géorgie deviendraient des membres de l’OTAN« , tout en n’organisant aucun calendrier d’adhésion. Devant la puissance de feu déployée, la Géorgie a dû signer des accords de cessez-le-feu en septembre 2008, qui impliquaient un retrait progressif des forces de Moscou de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud. Il n’a toujours pas eu lieu. Ces régions « ne sont pas des territoires indépendants, mais occupés« , a affirmé le président géorgien, traitant même le président de l’Ossétie du Sud de « chef de la Mafia locale« . Mikheïl Saakachvili a reconnu son impuissance face à cette situation, se disant incapable de défendre Tbilissi contre une attaque aérienne russe. On peut ainsi voir d’un autre angle la demande de la Géorgie d’acheter des armes défensives françaises, faite le lendemain à Nicolas Sarkozy, même si l’homme fort de Géorgie affirme que son pays « peut gagner avec la paix, pas avec la force militaire« .

Le président géorgien a par ailleurs rappelé son admiration pour le modèle européen et notamment l’Etat de Droit, « troisième voie entre le chaos eltsinien et poutinien« , mais aussi « la seule voie possible pour notre région« . M. Saakachvili a appelé l’Europe à prendre plus de responsabilités dans le Caucase. Il assure que l’UE conserve « un pouvoir d’attraction important« . Il s’est même fendu d’un large sourire en déclamant ses arguments pour l’entrée de son pays dans l’UE, vantant « la démocratie, la liberté, l’absence de corruption et la sécurité« . Il se félicite ainsi que les élections locales, qui se sont tenues récemment dans son pays, aient été « banales« , malgré l’interdiction de listes arméniennes ainsi que le constat de certaines fraudes par les observateurs internationaux. Mikheïl Saakachvili a assuré que l’Etat de Droit était en marche et que l’on ne pouvait l’arrêter, comme lorsque l’on est sur une bicyclette, « il faut continuer à pédaler« . Mais l’assemblée a surtout l’impression que le président géorgien pédalait dans la semoule, tant son français était difficile à comprendre. Les visages, au début concentrés, se sont vite crispés pour disparaître derrière un abîme de réflexion. Avalant un mot par-ci, rajoutant un mot en anglais par là ; fluide par endroits, haché par d’autres, l’homme de Tbilissi apparaissait incompréhensible. Mais en résumé, il a surtout prouvé que le vélo était bien un langage universel.

One Comment

  • zeb

    Vous utilisez une image provenant de la collection du musée Albert Kahn (même si elle est coupée). Il serait judicieux de préciser cela à la fin de votre article. Merci de respecter les droits d’auteurs