La Queer Week est-elle allée trop loin ?

Plus de 73 500 vues au moment de l’écriture de cet article, une nouvelle polémique sur ce qu’elle appelle la « théorie du genre », une position de victime chassée de la conférence : autant dire que Béatrice Bourges, la fondatrice du mouvement « Printemps français », aura réussi son coup médiatique lors de son intervention du vendredi 28 mars. Au début de la conférence « Alliances Emancipatrices : Au-Delà du Queer? », table ronde qui concluait la Queer Week 2014 à Sciences Po, elle a interpellé les participants en dénonçant une opposition « lynchée » au cours de la semaine. Pourtant, au sein de Sciences Po, le débat n’a pas vraiment eu lieu au delà de quelques concernés. Retour sur les événements qui ont marqué cette cinquième Queer Week.

LA QUEER WEEK 2014

Image 1La Queer Week 2014 avait pour thème le plaisir. Accueillant chercheurs tels que Mathieu Trachman, chercheur ayant fait sa thèse sur le travail pornographique, enseignant à l’EHESS, militants et artistes, la semaine a cette année allié conférences, table-rondes, ateliers et performances artistiques un peu partout dans Sciences Po, du lundi 24 au vendredi 28 mars. Dans le contexte d’une société française qui s’est profondément divisée autour du « Mariage pour tous », l’association organisatrice déjà confrontée les années précédentes à des protestations marginales a tenu sa ligne. « Rituel d’Activation de Fétiches », réflexion sur le travail pornographique, « histoire des objets de plaisir », performances artistiques incluant des drapeaux de la Manif pour tous : force est de constater que les thèmes proposés n’étaient pas consensuels.

 

L’IRRUPTION DE BÉATRICE BOURGES

La protestation a été à la hauteur des enjeux. Les années précédentes, seules quelques contestations marginales et solitaires avaient été émises. Cette année, c’est Béatrice Bourges qui a fait le plus parler d’elle en intervenant lors de la table ronde de clôture. Interrogée par La Péniche, celle qui déclare être venue « pacifiquement, pour discuter » est arrivée quelques minutes après le début de la conférence, avec un groupe réduit d’accompagnants (ils étaient huit), et d’une caméra. Elle avait été invitée par Nicolas Bauer, étudiant à Sciences Po qui affirme avoir participé à la Manif pour tous, mais « ne déclare pas » s’il est engagé dans un parti politique. « Le combat à l’intérieur de Sciences Po, on l’a laissé à d’autres » explique-t-il, « mais on aimerait lancer un débat sur le gender à l’université« . Une position précisée par Béatrice Bourges : « Il est important de faire la différence entre les Gender Studies et la théorie du genre, on veut mélanger les choses, et c’est là la malhonnêteté » explique-t-elle,  » Les gender studies sont l’étude sociologique des genres, l’évolution du rôle des hommes et des femmes dans la société. Elles sont importantes, et je ne m’y oppose en rien. En revanche, la théorie du genre est une idéologie qui n’a rien à voir, et qui affirme qu’on choisit son sexe en fonction de son désir ».

Deux vidéos de l’événement sont disponibles (voir ci dessous) : l’une, filmée par un proche de Béatrice Bourges au sein du Jour de Colère qui l’accompagnait, dure un peu moins de 4mn. Elle a été coupée, affirme Nicolas Bauer qui se défend de toute volonté de dissimulation, parce qu’une « vidéo de quatre minutes, c’est bien regardé« . Interrogée sur les raisons de sa présence, on y voit Béatrice Bourges  interpeller les participants à la table ronde, avant d’être prise à parti par l’une des intervenantes qui crie « Ta gueule » et des participants qui vont la bousculer. La vidéo diffusée par la Queer Week montre l’intégralité de la séquence, avec un débat qui semble s’engager au début de l’intervention avant que certains participants décident de faire sortir la responsable du Printemps Français. Cette dernière est finalement escortée vers la sortie par les appariteurs.


 

UNE DÉMARCHE EN INTERNE DE LA PART DE L’UNI-MET

Mais Béatrice Bourges, si elle a été la plus médiatique, n’a pas été la seule à protester. L’UNI-MET de son côté, « a demandé que l’administration fasse un examen pour voir si ce qui s’est passé était en accord avec le droit » affirme Léo Castellote, qui exclut néanmoins tout recours en justice de la part du syndicat. Une action dénoncée en interne par certains membres de l’organisation, qui jugent que le débat n’a pas été respecté. Contactée, Françoise Mélonio, directrice de la scolarité, a confirmé que « la question a été abordée par les étudiants lors d’un groupe de travail”, groupe qui s’est mis d’accord sur la rédaction d’une “note rappelant la réglementation”.

UNE LETTRE CONFIDENTIELLE A FRÉDÉRIC MION

Des initiatives de plus petits groupes encore ont vu le jour telles cette lettre envoyée à Frédéric Mion, rédigée par des membres du Centre Saint Guillaume (CSG) à titre personnel, et signée par une vingtaine de personnes — sans que le CSG ne s’associe à la démarche. Alexandre Masson, président de l’association, précise que le CSG “désapprouve totalement l’intervention de Mme. Bourges”. La lettre visait plutôt à exprimer le « désarroi » de certains étudiants, blessés dans leur foi par certaines manifestations de cette semaine, même si les signataires de la lettre respectent la liberté d’expression et ne prônent pas l’interdiction de la Queer Week.

Nicolas Bauer et Béatrice Bourges ont une position plus tranchée : ils affirment avoir été choqués par une provocation anti-catholique récurrente et imposée lors des manifestations artistiques : “Quand on utilise des croix inversées, des chapelets, dans des rites chamaniques, il ne faut pas mentir. Ils n’assument pas la théorie du genre, ni les rites clairement anti-chrétiens”. La Queer Week dément l’utilisation de croix inversées. Si Jean Leydier, président de Plug and Play explique qu’il « s’agissait plus de création artistique et d’attaques contre la Manif pour tous plutôt que de véritables parodies de messes noires« , la Queer Week a néanmoins écrit sur sa page Facebook  “on les avait pourtant exorcisés avec notre messe noire”, une phrase interprétée comme une attaque directe par l’autre partie.

Le CSG défend pour sa part une approche plus équilibrée de ces questions, en soutenant par exemple la conférence organisée par Coexister Sciences Po et Plug’n Play mercredi dernier, sur le thème : « Les religions condamnent-elles l’homosexualité ? ».

 

« LA POSITION DE L’ADMINISTRATION, ELLE EST TRÈS CLAIRE » FRANCOISE MELONIO

Une affiche de la Queer Week qui a provoqué la colère de Béatrice Bourges.
Une affiche de la Queer Week qui a provoqué la colère de Béatrice Bourges.

Face à ces troubles qui ont atteint une ampleur inédite, Françoise Mélonio tient à clarifier la position de l’administration : « Le principe a été réaffirmé par tous que Sciences Po était favorable à la liberté d’expression, mais à la liberté d’expression dans le cadre de la loi” explique-t-elle. L’association Queer Week se défend quant à elle de toute violation du droit, affirmant que Béatrice Bourges « n’est pas intervenue pour débattre du thème de la conférence : alliance émancipatrice. Elle était clairement là pour provoquer, et ses premiers mots ont d’ailleurs été accusateurs : elle parle d’une semaine de l’intolérance et de l’hétérophobie. Le mariage pour tous n’était pas le thème. Elle a été évacuée car sa présence provoquait de la discorde« .

La Queer Week, hétérophobe? Béatrice Bourges accuse les organisateurs d’être allés trop loin : “Quand sur la page facebook, et dans le hall, on voit une photo où de la bouche d’un enfant, sort “être hetero c’est la loose” : n’est-ce pas agressif ? Imaginez leur réaction si nous tenions les mêmes propos concernant l’homosexualité“. Un discours qui peut sembler ironique au vu de ses récentes déclarations où elle affirmait que la France devrait prendre exemple sur la Russie en matière de droit homosexuel, bien qu’elle soutienne ne se référer qu’à leur vision de la famille. Et qui peuvent expliquer, sans excuser, le rejet massif de sa présence lors de cette table ronde de clôture.
Jean Leydier, président de Plug’n Play, qui soutient la Queer Week, explique “qu’il était donc compliqué de contenir [leurs] émotions”, même si « répondre par la violence était inutile et regrettable pour la Queer Week, notamment parce que c’était exactement ce que Béatrice Bourges attendait« .

 

UN DIALOGUE DE SOURDS

La Queer Week a donc ressemblé, à bien des égards, à un dialogue de sourds. D’un côté, l’intervention de Béatrice Bourges était plus un coup médiatique qu’une véritable tentative de débat — sinon pourquoi ne pas être intervenue plus tôt dans la semaine alors que les organisateurs étaient présents en péniche ? De l’autre, certains interlocuteurs ne lui ont même pas permis de s’exprimer, laissant peu de place au débat contradictoire et lui permettant de se poser en victime. Au centre, des sciences-pistes qui, pour une large majorité, sont restés plutôt à l’écart des polémiques. Il est à craindre qu’au terme de cette semaine, ces querelles n’aient permis le débat ni avec les uns, ni avec les autres.

Paul-Emile Delcourt et Claire Manzano

5 Comments

  • Anonyme

    Bonjour,

    Sur ces deux vidéos, on voit un jeune homme en blouson de cuir marron avec un foulard jaune et rouge sur le visage, visiblement familier des organisateurs de la queer week ; à 5’18 », sur la vidéo Daily Motion, à gauche de l’écran, il frappe ou tente de frapper, avec le poing, les amis de Béatrice Bourges avant d’être réprimandé (« on n’est pas des sauvages »), entre 5’24 » et 5’30 », par une des organisatrices, lorsqu’il essaie à nouveau un coup de poing à l’encontre des camarades de Béatrice Bourges.
    Intéressant de le suivre sur les vidéos ; il finit d’installer son foulard et son blouson vers 1’32 » et 1’35 », à droite de l’écran, sur la vidéo Daily Motion.
    Dans quel camp est la violence ?
    Je doute que ce monsieur fasse partie du service d’ordre de Sciences Po, même si ce dernier ne le contrarie pas beaucoup, sauf, bien peu, à 5’23″(Daily Motion).

    Sur la vidéo You Tube , il est en embuscade à 1’49 », à droite de l’écran, et on le voit à l’œuvre dans les secondes qui suivent, notamment à 1’54 », à gauche de l’écran.

    Cordialement.

  • Bref

    Je suis assez étonnée des réactions sur l’humour.
    Il me semble que traiter des personnes de la même manière alors qu’elles ne sont pas dans la même situation est justement la façon de reproduire les inégalités.
    Les hétéros sont dans une position dominante dans la société alors que l’on sait très bien que les homos souffrent de multiples discriminations. Des paroles du genre « T’es homo ? La loose ! » sont finalement assez courantes, car oui l’homophobie existe, mettre « hétéro » à la place d’homo permet simplement de montrer l’absurdité des discriminations fondées sur l’orientation sexuelle.

  • Toc Toc

    Je ne me suis pas senti blessé dans ma condition d’hétérosexuel mais soyons honnête: un « T’es homo? La loose » aurait été très mal reçu. De même qu’un « T’es un homme ? La loose » serait passé inaperçu dans une manif féministe au contraire d’un « T’es une femme ? » etc.

    Bref, c’est bien gentil de nous dire d’avoir de l’humour mais faut que ça aille dans les deux sens.

  • MOI

    Depuis quand une conférence doit-elle accepter d’accueillir ses détracteurs les plus virulents? Tolèrerait-on un membre du Ku Klux Klan au sein d’un débat sur le racisme? Le débat contradictoire a ses limites, la provocation aussi. Et la liberté d’expression s’arrête là où commence l’incitation à la haine.

    Quant à l’affiche « T’es hétéro la lose », un peu de second degré! Je ne pense pas qu’un seul hétéro ait été blessé dans son orientation sexuelle!

    Très bon article au demeurant LP :).