La sexualité «exotique» déconstruite par Garçes

Mardi dernier, le collectif féministe Garçes (Groupe d’Action et de Réflexion Contre l’Environnement Sexiste) organisait une de ses premières grandes conférences du semestre. Un événement marqué par un thème fort, sortant des problématiques féministes dominantes : « l’exotisme et construction blanche des sexualités des non-blancs ». Objectif de la conférence : déconstruire l’imaginaire autour de la vie sexuelle des personnes racisées. Inscrite dans le cadre du cycle de la sexualité, celui-ci, à travers ses différents évènements a pour objectif « de discuter et d’interroger nos sexualités et leurs différentes représentations ». Un amphi Boutmy largement rempli pour l’occasion, avec des élèves déjà aguerris et d’autres intrigués par cette réflexion féministe.  

Affiche de l'événement. Originale par Valérie OKA, exposition "Body Talk" au centre d'art de Wiels, à Bruxelles en 2015.
Affiche de l’événement. Originale par Valérie OKA, exposition « Body Talk » au centre d’art de Wiels, à Bruxelles en 2015.

L’exotisme, ou la «colonisation des esprits»

Cinq invitées étaient présentes pour tenter de décortiquer cet ensemble d’images à connotation éminemment péjorative autour des femmes racisées. Une introduction, menée par les militantes de Garçes a permis de définir l’un des enjeux clés de la conférence : l’exotisme, soit un « un rapport subjectif, du regard du dominant sur le dominé auquel on colle différentes représentations ». Fatima Khemilat, doctorante en Sciences Politique à Sciences Po Aix s’est prononcée la première, en véritable figure introductive de la conférence. Celle-ci a ainsi démontré que la représentation de la sexualité des personnes racisées est imprégnée d’une véritable « colonisation des esprits ». Ainsi, l’hypersexualisation des femmes noires, en miroir avec la féminité pure des femmes blanches pose une dichotomie très forte, dans la continuité de l’imaginaire colonial. Des explications ont été menées par l’intervenante sur de nombreux termes attachés au féminisme intersectionnel. Cette introduction a permis de donner les bases utiles à une interrogation des représentations de la sexualité issus de ce colonialisme.

Des témoignages concrets et percutants

Mrs Roots, une blogueuse afroféministe a d’abord choqué l’assemblée avec une avalanche de remarques racistes et sexistes recueillies auprès de femmes noires. « J’aimerais bien coucher avec une noire parce que vous êtes sauvages au lit »… « J’ai parié avec mon pote que je finirai la soirée avec toi, c’est mon côté zoophile je crois »… Selon Mrs. Roots, ses remarques sont encore imprégnées de cette période coloniale et de sa violence mentale et physique inouïe sur les femmes noires. Et même après la fin de cette colonisation, ces stéréotypes n’ont eu de cesse de perdurer, sous des formes différentes. La violence est ainsi devenue systématique : l’«exotisation» des femmes noires passe immédiatement par leur déshumanisation. Face à cette situation, les concernées se sont retrouvées autour d’un mouvement : la réappropriation de leur vie sexuelle et de sa narration. Cette manière « d’intellectualiser le corps noir dans l’art de l’imaginaire érotique »,  Sharone Omankoy, l’intervenante suivante, la défend également.

Cette blogueuse et militante afroféministe, notamment impliquée dans la lutte contre le VIH et le sida, le rappelle : « Comment les personnes racisées peuvent vivre librement leur sexualité en dehors de l’exotisme ? ». Elle appelle ainsi à un travail de longue haleine, qui va demander énormément de temps. Ecrire, réfléchir, repenser sa sexualité, à travers un autre prisme : un combat permanent mais nécessaire. « Tout ce que l’on vit dans nos vies intimes, c’est politique. Ça nous impacte, et ce sont des choses que l’on peut dire ». Grâce au bodypositivisme mais aussi à toute autre forme d’expression, Sharone Omankoy a réellement espoir de surmonter cet exotisme et de parvenir à « reconquérir les corps ».

Wissale Achargui, étudiante en histoire et activiste intersectionnelle poursuit également cette réflexion, mais sous un autre point de vue, celui de la « beurette ». Cette membre du collectif Féministes contre le cyberharcèlement s’est longuement intéressée à l’hypersexualisation des diasporas maghrébines. Celle-ci a développé toute une réflexion visant à souligner que « la caricature de la beurette s’est construite en opposition à la femme blanche », encore une fois dans une démarche colonialiste. La « beurette » ne dispose d’aucune individualité et représente une sexualité « irrespectable ». Un terme très connoté, étant de surcroît le hashtag le plus utilisée dans les moteurs de recherches sur les sites pornographiques. Cette réification de la femme maghrébine à son hypersexualisation, s’est faite selon l’intervenante, notamment à travers les arts avec l’orientalisme. Après cette analyse de ce courant artistique notamment incarné par Delacroix, l’intervenante maintient : « la fin de la colonisation ne signifie pas la fin des narrations coloniales ».

 

Ouverture de la réflexion tous azimuts et pour tous

La conférence s’est enfin clôt avec l’intervention concise mais intéressante de Chantal Zabus, professeur d’Etudes Postcoloniales Comparées et de Genre à la Sorbonne. Cette intervention en anglais sur le « post-queering Africa » a mis fin à cette conférence, très appréciée par les sciencepistes. Florine Hausfater, élève en Première Année explique : « c’était sûrement l’une des meilleures conférences que j’ai pu voir à Sciences Po, les approches étaient particulièrement variées et se complétaient toutes bien. Que ce soit à travers l’histoire, la sociologie ou le vécu des intervenantes, les démarches restaient toutes très personnelles et pertinentes ». Moi-même, étant une personne racisée, je me suis reconnue dans les propos évoqués de ces femmes et dans les combats qu’elles mènent, sans toutefois avoir encore les clés de compréhension de ces problématiques, souvent très complexes. Cette conférence m’a assez permis, et à de nombreuses autres personnes dans l’amphithéâtre, de poser les mots sur certaines expériences, vécues personnellement en tant que « beurette »… Ainsi, cet événement organisé par Garçes, a été un réel vecteur de prise de conscience pour moi-même et de nombreuses étudiantes et étudiants, racisés ou non.