L’Allemagne : géant économique, endormi politique

 

Ce dimanche 22 septembre, c’est toute l’Europe qui est suspendue au résultat du vote allemand. Angela Merkel semble emporter avec aisance cette campagne peu mouvementée. La première puissance économique sombre dans un état politique comateux. Une réélection de l’Union CDU/CSU ne fera, néanmoins, pas l’affaire. La Chancelière devra composer avec des partenaires de coalition plus ou moins prêts à faire des sacrifices.

Par Yann Schreiber et Benoît Rinnert

 

crédit photo : Yann Schreiber
Angela Merkel au sommet de l’EPP à Vienne, le 20 juin 2013 / crédit photo : Yann Schreiber

Selon le mot de l’ancien président français Nicolas Sarkozy, aucun dirigeant de pays industrialisé n’a été réélu depuis le début de la crise – à l’exception notable de Barack Obama aux États-Unis. Il y a de grandes chances pour qu’Angela Merkel fasse mentir cette affirmation une deuxième fois. Les élections allemandes ont lieu selon un mode de scrutin mixte proportionnel et personnalisé assez complexe. Fédérale et parlementaire, la démocratie du « pays des penseurs et des poètes » est organisée autour du principe du consensus. Trois des principaux mouvements politiques, les libéraux-démocrates (FDP), les chrétiens-démocrates et chrétiens-sociaux (CDU/CSU) et enfin les sociaux-démocrates (SPD), présentent des programmes partageant de fortes similarités. Alors qu’une réélection d’Angela Merkel semble sûre, ce sera donc le rapport de force entre les partis, exprimé par le contrat de coalition, qui définira la politique des années à venir. Ainsi, plusieurs scénarii sont possibles.

 

La Bavière, premier test pseudoréconfortant

Dimanche 15 septembre dernier avaient lieu les élections en Bavière, où la CDU (le parti d’Angela Merkel) est représentée par son alliée, la CSU, dirigée par Horst Seehofer. Avec 47,7% des voix, 101 sièges sur 180 à l’assemblée, la CSU peut, à nouveau, depuis les dernières élections qui avaient conduit à une défaite historique du parti, gouverner seule. La FDP, actuellement en coalition avec la CDU au niveau fédéral, n’obtient pas les votes nécessaires à une entrée au Landtag, l’assemblée bavaroise. Le SPD, principal adversaire d’Angela Merkel pour les élections du 22 septembre, arrive en deuxième position, et gagne légèrement par rapport aux dernières élections en obtenant 20,6%. Le parti des « Electeurs Libres » (FreieWähler) capte 9% des voix, les Verts 8,6%. Le parti de gauche ainsi que le parti Pirate n’entrent pas à l’assemblée.Cette victoire est particulièrement due au personnage de Horst Seehofer qui a su rassembler les électeurs autour d’un programme très classique et peu novateur, s’alignant la plupart du temps sur les thèmes favorisés lors des sondages.

Certes, c’est le courant politique d’Angela Merkel qui a remporté les élections, ce qui devrait réconforter les dirigeants CDU fédéraux qui profitaient déjà d’une avance considérable par rapport au SPD. Or, les pertes majeures du FPD sont alarmantes : un tel résultat au niveau national rendrait impossible la coalition actuelle, coalition préférée par la CDU et Angela Merkel. Seule une grande coalition serait alors possible, alliant CDU/CSU et le SPD. De plus, quasiment tous les éditorialistes allemands s’accordent sur le fait que Horst Seehofer deviendra pénible pour Angela Merkel : l’Allemagne, tel l’unisson, sera fortement gouvernée depuis Munich, et Angela Merkel devra composer non seulement avec un partenaire d’une quelconque coalition, mais aussi avec le leader bavarois, tout en sachant que le FDP et le SPD essayeront avec force de faire valoir leurs programmes dans une possible coalition et de ne pas se soumettre trop facilement à une domination merkelienne.

 

Un jeu de coalitions complexe

Le FDP s’embourbe actuellement autour des 5%, la limite même d’une entrée au Bundestag, chambre basse du parlement allemand. Souhaitant profiter du système électoral allemand, le FDP vise actuellement à remporter un maximum de « secondes voix » des électeurs CDU/CSU. En effet, une partie des députés est élue sur des listes fédérales et l’autre partie sur des listes propres aux Länder. Chaque citoyen a donc deux voix : l’une permettant l’élection directe d’un parti et de son candidat fédéral ; l’autre, l’élection d’un parti au niveau des Länder. Si le FDP obtient moins de 5% des seconds votes, il n’entre pas au Bundestag. Or, ce splitting des voix a perdu une influence majeure depuis la réforme électorale du début de cette année 2013 : avant, une grande différence entre le nombre de premiers et de secondes voix permettait de renforcer les deux partis entre lesquels la plupart des voix étaient splittées ; l’un, en lui permettant d’accéder au Bundestag ; l’autre, en lui donnant des mandats supplémentaires, appelés « Überhangmandate. » Ces mandats supplémentaires sont, depuis la réforme de la loi électorale, compensés par des sièges supplémentaires pour les autres partis. Trop de secondes voix pour le FDP auraient donc tendance à punir le CDU/CSU. Si le FDP, grâce aux secondes voix, n’obtient finalement pas assez de sièges pour une coalition, la CDU/CSU sera affaiblie pour d’éventuelles négociations avec le SPD.

C’est en effet une grande coalition, rassemblant SPD et CDU/CSU, qui semble être la plus probable alternative à une coalition entre conservateurs CDU/CSU et libéraux FDP. Dans ce cas, Angela Merkel devra composer avec un partenaire socialiste, notamment en ce qui concerne les politiques européennes d’austérité. Il est à noter que, jusqu’à présent, le SPD a, la plupart du temps, participé à un gouvernement dit « d’unité nationale » sur les questions européennes. Une fois dans une coalition, la SPD voudra se faire entendre. Une telle coalition aurait d’autant plus tendance à freiner la politique européenne, déjà en suspens jusqu’à dimanche prochain ; néanmoins, les thèmes des deux partis restent proches : ils pourraient s’entendre rapidement autour d’un grand nombre de politiques domestiques, tels que salaires ou retraites minimas.

D’autres coalitions sans une Chancelière Merkel restent peu probables : une coalition entre le SPD, les Verts et le parti de gauche Die Linke aurait, en plus d’une majorité au Bundestag, la majorité à la chambre haute, le Bundesrat, mais les thèmes communs restent rares. Reste une coalition SPD-Verts qui semble à ce jour impossible.

Angela Merkel au Bundestag / crédit photo : Yann Schreiber
Angela Merkel au Bundestag / crédit photo : Yann Schreiber

 

Le grand endormi politique

L’Allemagne est la première puissance économique européenne. Le chômage atteint des minima historiques, l’économie fonctionne bien. La campagne d’Angela Merkel s’est beaucoup orientée vers sa personne. Son principal message : « vous me connaissez. » La politique allemande n’aime pas les changements – Angela Merkel n’aime pas les campagnes électorales. Ne rien dire signifie ne pas faire d’erreurs. S’aligner avec la majorité de l’opinion publique revient à décélérer toute campagne rivale. L’Allemagne se trouve dans un somnambulisme électoral sous le contrôle d’une chancelière caractérisée de « post-politique » par certains critiques. L’Europe aura, avec Angela Merkel, encore un mandat allemand monotone, sauvegardant à tout prix la cohésion européenne, mais refusant avec la même ardeur tout changement de traités qui exposerait la politique européenne à une approbation populaire. Notamment avec la Grande-Bretagne, ou même la France, ceci est un pari trop risqué.Dans ce contexte, le score du parti eurosceptique « Alternative für Deutschland » (AfD) sera un indicateur fort de l’euroscepticisme dans un pays où ce thème reste tabou. Le statu quo est apprécié – et Angela Merkel semble ne pas vouloir trop y toucher. En temps de crise européenne et d’affolement général dans les pays voisins, une telle figure allemande calmera clairement le jeu. Jusqu’à quand tiendra donc ce somme allemand ? Jusqu’au référendum britannique si David Cameron est réélu ?

Angela Merkel devra, à un moment de sa carrière politique, réellement prendre des risques. Mais le fera-t-elle ? Certaines voix rappellent aussi la possibilité, pour elle, de se retirer de la politique en milieu de mandat. Ceci aurait au moins le mérite de réveiller l’Allemagne de son coma politique, bercé par une Chancelière tout aussi sommeilleuse et idéologiquement peu déterminée.