Le Mag’ : Three Daughters of Eve

Résumé : Le livre est centré sur le personnage de Nazperi Nalbantoğlu, appelée affectueusement Peri par ses proches, que l’on suit tout au long du roman à différentes périodes de sa vie entre 1980 et 2016. Lorsque l’histoire débute, à Istanbul en 2016, Peri a une quarantaine d’années et est une femme mariée et mère de trois enfants, dont une adolescente. Dans la scène d’ouverture, à la suite d’un embouteillage, Peri se fait voler son sac par un malfrat. Dans ce sac, il y a de nombreuses babioles. Mais aussi un objet capital auquel est sentimentalement très attachée cette femme: une photographie, représentant trois jeunes filles, dont elle-même, dans l’enceinte de l’université d’Oxford, au Royaume-Uni, entourées par un homme plus âgé que l’on devine être sûrement leur professeur. Le soir même, Peri est attendue par son mari à un dîner au sein de la grande bourgeoisie stambouliote. Alors que défilent les plats les plus raffinés devant elle au milieu des gens les plus influents de la ville, la jeune femme voit ses souvenirs affluer. Des souvenirs où se croisent les personnages de son enfance (ses parents, sans cesse à couteaux tirés quand il s’agit de religion, et ses deux frères) et les fragments du début de sa vie d’adulte, alors qu’elle était étudiante à Oxford…

Three Daughters of Eve est un livre engagé. Un roman parfois déstabilisant, souvent émouvant, toujours pertinent. Une histoire qui n’a l’air de rien mais se révèle terriblement incisive, perturbante et évocatrice.
Tout commence avec un sac volé, duquel glisse une vieille photographie.

Sur ce Polaroïd, un homme d’une trentaine d’années, et trois jeunes filles, à Oxford.
En apparence, rien de majeur.

Mais pour Peri, la femme à qui appartenait le sac, ce petit fragment de passé ne cristallise pas qu’un banal souvenir d’université, mais bien toute une existence de questionnements, de doute, et des années et des années à se demander où sa place pouvait bien se trouver.

Dans son foyer natal, entre sa mère dévote et son père allergique à tout ce qui touche de près ou de loin à la religion, entre deux frères qui flirtent avec les extrêmes, l’un dans la rébellion, l’autre dans le réactionnarisme ?

A Oxford, l’université dont elle a rêvé tout au long de son adolescence, mais où elle n’a même pas pu achever ses études ?

Au sein de son mariage, avec son mari qui ne lui inspire plus grand-chose depuis longtemps et sa fille de douze ans qu’elle commence déjà à ne plus comprendre ?

Ou quelque part, ailleurs, dans un rêve un peu dangereux mais terriblement excitant, dans un fantasme d’absolu partagé par les quatre individus photographiés ?

Three Daughters of Eve captive parce qu’il n’est pas ce à quoi on s’attend. Il ne s’agit pas d’un pamphlet, ni d’un mélodrame familial, mais bien d’un récit introspectif et rétrospectif riche et fourmillant de réflexions pertinentes sur de multiples aspects des sociétés turque et occidentale, à propos de religion, de famille, d’identité, de priorités de vie. Avec sa plume particulièrement talentueuse pour partager couleurs, sensations et aspects visuels du texte, l’auteure livre un récit qui ne se satisfait pas d’une lecture superficielle, mais exige bel et bien un vrai engagement de la part de son lecteur.

Peut-être peut-on regretter certains aspects du récit dont on aurait aimé qu’ils soient plus développés, notamment les fameux cours du professeur Azur, la fin mi-figue mi-raison dont on a du mal à savoir quoi penser, ou encore certaines attentes du lecteur autour de quelques scènes en particulier qui se voient en fait très vite traitées, mais l’ouvrage demeure incroyablement saisissant dans le portrait qu’il fait de ses personnages et notamment de son héroïne, ou encore dans la manière dont il transcrit les émotions et les sensations vécues par celle-ci. On ressent son déracinement, sa solitude étouffante à tous les âges de sa vie, ses questionnements qui la font dériver plus qu’avancer, sa nostalgie diffuse et sans objet de quelque chose qu’elle ne connaîtra probablement jamais. C’est une petite pépite d’introspection que l’on dévore à toute allure, transporté entre les époques et les continents, conscient de l’issue du récit mais néanmoins toujours accroché à un espoir de voir la jeune fille trouver les réponses à ses questionnements, et se trouver elle-même.

L’auteure parvient à rendre palpables des réalités parfois complètement étrangères à ses lecteurs, et à cerner avec précision l’essence même des problématiques qu’elle aborde, les rendant ainsi universelles. Ce roman parlera à tous, parce que nous avons tous une petite part d’insatisfaction, de frustration à propos de la société de laquelle nous évoluons, des normes qu’on nous impose et dans lesquelles on ne se reconnaît pas toujours. Ce n’est pas un roman qui prétend offrir des réponses miraculeuses, et heureusement, mais bien une ouverture, un récit honnête, profond, complexe mais pas compliqué, sombre certes, mais inspirant. N’hésitez donc pas à découvrir Three Daughters of Eve, ses questionnements brûlants d’actualité sur une multitude de sujets, et sa grande lucidité qui perce dans la moindre scène décrite.