LE MAG – L’Avare au TNP, de l’argent et encore de l’argent

La Comédie de Reims jouait au TNP de Villeurbanne du mardi 17 au dimanche 21 février l’indémodable Avare de Molière, habilement transposé au monde du XXIème siècle. Séance de rattrapage.

Une critique du capitalisme traverse la mise en scène de Ludovic Lagarde. La pièce est jouée dans un décor d’entrepôt en phase avec l’accumulation rigoureuse et obsessionnelle du personnage principal : Harpagon. Le jeu de mensonges et de quiproquos toujours d’actualité est rythmé par des déclarations d’amour en rap, des jeux de lumières étonnants et une justice investigatrice au look branché.

 « Que diable toujours de l’argent ! Il semble qu’ils n’aient autre chose à dire, de l’argent, de l’argent, de l’argent. Ah ! ils n’ont que ce mot à la bouche, de l’argent. Toujours à parler d’argent. Voilà leur épée de chevet, de l’argent. »

Laurent Poitrenaux fait avec son corps une interprétation du personnage d’Harpagon à la fois banale et brillante. Ses bras sont ballants, son visage toujours méfiant et ses jambes fléchissent dès qu’on lui demande de l’argent. Son expression de mafieux paranoïaque envahit l’atmosphère et communique au spectateur l’angoisse du vol de la fameuse cassette, cachée au fond du jardin entre deux bouts d’échelle brisée et sous une caméra de surveillance.

Les personnages oscillent entre deux hésitations : le flatter ou tout simplement lui dire la vérité pour se faire ensuite rosser. Toujours un fusil de chasse ou une canne de golf à portée de main, Harpagon force La Flèche à se déshabiller pour lui reprendre quelque argent qu’il lui aurait volé. On assiste à cette scène avec gêne, et on le retrouve par la suite un sac en plastique noué à la taille à chercher ses vêtements cachés par l’Avare dans un sac poubelle.

Certains passages particulièrement marquants font référence au monde d’aujourd’hui. C’est par exemple le cas de la déclaration d’amour d’Harpagon à Mariane, déclamée comme un morceau de rap. Imaginez :

« Ne vous offensez pas ma belle, si je viens à vous avec des lunettes. Je sais que vos appas frappent assez les yeux, sont assez visibles d’eux mêmes, et qu’il n’est pas besoin de lunettes pour les apercevoir; mais enfin c’est avec des lunettes qu’on observe les astres, et je maintiens et garantis que vous êtes un astre, mais un astre le plus bel astre qui soit dans le pays des astres. »

Le malaise s’installe entre le sérieux d’Harpagon et les sourires gênés et moqueurs de Mariane. Le fossé entre les générations est ridiculisé.

La mise en scène est également actualisée par la volonté d’émancipation que montre Elise, volonté portée à son comble lorsqu’elle soulève son T-shirt, et écrit sur son ventre au rouge à lèvres « Free fuck », pour protester contre les ambitions de mariage de son père. A ce moment, on n’a d’attention que pour Elise, si bien que le texte déclamé autour passe presque pour un murmure.

Enfin, Ludovic Lagarde fait un clin d’œil à la jeunesse et aux jeunes adultes lorsqu’une Pom’Pote est donnée à Cléante, frère d’Elise, en guise de consolation. Ceci dans un contexte de fausse réconciliation du père et du fils par Maître Jacques, à la fois cuisinier et cocher d’Harpagon. Pour mieux faire passer ses apaisantes paroles aux oreilles des deux hommes, Maitre Jacques sert une pizza et un verre de lait au père, et … masse le dos et le postérieur de Cléante qui tombe dans une extase admirablement bien jouée.

« Elle ne peut souffrir du tout la vue d’un jeune homme, mais elle n’est point plus ravie, dit elle, que lorsqu’elle peut voir un beau vieillard avec une barbe majestueuse. »

Le personnage de Frosine brillamment interprété par la comédienne Christèle Tual est l’un des plus étonnants, notamment durant la scène dans laquelle Frosine, une bouteille de Vodka à la main et avachie sur un pouf en plastique, imagine des solutions à la rivalité amoureuse du père et du fils. Cette femme d’intrigue habillée en femme d’affaires aux jambes provocatrices, tire toujours sa petite valise en quête de quelque récompense.

La fin de la pièce, à la mise en scène remarquablement pensée, se déroule dans une lumière jaune et verte venue du fond de la cassette (qui fait aussi office de cercueil pour l’Avare, prisonnier de son vice), et s’accompagne d’un fond sonore sourd. Harpagon, des paillettes sur le visage, comme devenu or, effectue des mouvements amples et lents en jouant avec les reflets et les ombres.

Une fois le spectacle clos par une ovation et un sourire si large qu’il devient douloureux, chacun se réjouit d’avoir assisté à une représentation théâtrale rare de par son originalité et sa modernité.

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