L’entrée en fanfare des enfants de 1999

Des individus peu communs sont venus grossir les rangs de Sciences Po en ce début d’année scolaire. Individus qui ont, sans exception aucune, travaillé comme des ânes toute l’année dernière, pleuré comme des madeleines en juin dernier, et qui ont joué aux cadors devant leurs amis pendant tout l’été en répétant à tout bout de champ qu’ils étaient admis. Les nouveaux arrivants sont (majoritairement) nés en 1999, et les petits génies qui n’ont pas eu l’audace d’affronter la classe de CM1 et ses divisions m’excuseront par avance. Ils sont les derniers élus (carrément !) du millénaire qui a vu naître Henri IV, Henri Salvador, Henry de Montherlant et Thierry Henry. Je n’ai cité que les meilleurs. Ils sont nés avant le pseudo « bug » de l’an 2000 dont nous parle avec une tendre nostalgie nos chers parents mais dont nous n’avons toujours pas saisi le concept profond. Ils sont impatients, fiers et ont eu une enfance passionnante, qui va, ça tombe bien, vous passionner.

L’enfant né en 1999 est d’une drôle d’espèce. Il est de celle dont les parents n’ont pas eu la sagesse d’attendre l’an 2000 pour copuler avec vigueur, ce qui aurait bien fait marrer tout le monde et arrangé certains désireux de connaître l’âge du « gamin là-bas ». C’est simple, on est en 2017, il a 17 ans. Et bien pour l’enfant de 1999, non ce n’est pas simple.

L’enfant de 1999 nourrit un complexe de supériorité proprement scandaleux mais très amusant vis-à-vis de celui né en 2000. Au contraire, il admire assez celui qui, par malchance, a redoublé une classe et représente la génération précédente. Vous l’aurez compris, ladite génération méprise un peu se cadets nés en 1999. Mais passons. En fait, tant que le temps s’écoulera à peu près normalement, il y aura toujours des Terminales pour se trouver infiniment supérieurs aux Premières.

L’enfant de 1999 est un des derniers à n’être pas tombé dans la marmite de potion magique façon Apple. Il a rembobiné des cassettes, gribouillé des spirales sur des feuilles blanches qui se seraient très bien passées de spirales gribouillées. Il a écouté les CD de ses parents en trouvant ça bien, enfin en trouvant ça comme on trouve une chanson à 6 ans. Il a ensuite trouvé bien « Ça m’énerve » de Helmut Fritz, « Replay » d’Iyaz et « Celui » de Colonel Reyel. Ensuite il a trouvé ça pas si bien que ça. Je laisse chacun libre de ses goûts. Il a trouvé de bon ton de se moquer de Justin Bieber, puis des One Direction, tout en écoutant quelques chansons en cachette. Il a regardé Scooby-Doo et Code Lyoko le mercredi matin sur France 3. Il ne se souvient qu’à peine de La Ferme Célébrités sur TF1. Il n’a pas regardé « Questions au gouvernement » sur Public Sénat. Ce qui est très bizarre.

Il a joué à Pokemon et à Mario sur Nintendo DS. Il a acheté des UGG, des Stan Smith et des Blazer. Il a acheté un Blackberry dont il a personnalisé le laser pour chacun de ses meilleurs amis. Il a attendu désespérément que le laser rose s’affiche, parce que le laser rose était celui choisi pour celui ou celle qui était sans aucun doute l’amour de sa vie. Il a vu Avatar et il se demande quand va sortir le 2. Il a vu Harry Potter un bon paquet de fois, et il n’est désormais plus question de savoir quand va sortir le 2. Il a fait son vaccin contre la Grippe A et il n’a pas (par la grâce de Dieu ou de la médecine, sacré débat) attrapé la grippe A. Il a lu Tartuffe et L’Odyssée, et il a râlé un bon bout de temps en sortant du brevet de maths. Il a pleuré à la mort de Grégory Lemarchal, après le coup de boule de Zidane et quand il est rentré chez lui fatigué le 13 novembre 2015.

L’enfant de 1999 est né dans la peur et dans la mort, et il n’a pas besoin qu’on lui rappelle qu’il était là le 11 septembre 2001, même s’il ne s’en souvient pas. Il a vu le monde s’effondrer, il a grandi dans la vue du sang et ne s’en est jamais vraiment remis. Il a pleuré en janvier 2015, il a mis une photo de couverture « Pray For Paris » en novembre, et ne sait plus trop quoi répondre à part pleurer ou crier quand on lui dit qu’il y a eu des morts.

C’est ce jeune homme ou cette jeune femme-là qui part à l’assaut du 27 Rue Saint-Guillaume. Il ne sait pas trop ce qu’il veut, il a choisi de ne pas choisir, mais il a surtout choisi de réfléchir un bon coup, d’écouter des profs qui savent bien des choses, de se la raconter à propos de Sciences Po et de finir par réaliser qu’il est là, devant les portes, le jour de la rentrée.

L’étudiant ou l’étudiante de Sciences Po a reçu sa carte, il a pris un café – un peu cher tout de même – et il a écarquillé les yeux quand on lui a dit Edouard Philippe. Edouard Philippe… ? Il aime déjà la queue qui s’étale devant la machine à café, les triplétades un peu surcôtées, les soirées pas raisonnables, et j’en passe.

Voilà, nous sommes les enfants de 1999, et nous vous aimons déjà. Enchantés.