« Les départementales 2015 sont d’une pauvreté absolue »

Julien Peres - Cyril courson - Agence Wecare

Anciens collaborateurs parlementaires, férus de marketing, de numérique et de nouvelles technologies, Cyril Courson et Julien Peres ont co-fondé l’Agence Wefluence à la rentrée 2014. Ils accompagnent aujourd’hui élus, collectivités, institutions publiques et entreprises dans la définition et mise en oeuvre de leur stratégie de communication digitale.

Passionnés aussi bien par la communication de campagne que par la communication publique, ils scrutent en permanence les dernières innovations en la matière des start-up, en France comme à l’étranger.

Chaque mois, ils décryptent l’actualité de la communication politique pour La Peniche.  

 

Syriza et Podemos ont ou sont en train d’atteindre des performances électorales que la gauche de la gauche française n’envisage même pas un instant. En termes de communication politique, quelle leçon les Verts et le Front de Gauche peuvent tirer de leurs alter-egos espagnols et grecs ?

Julien Peres : Podemos en Espagne et Syriza en Grèce sont des mouvements populaires plus que des partis politiques. On est donc là face à des ensembles classés comme d’extrême gauche mais qui sont en fait totalement transcourants et construits en opposition à l’austérité. Difficile d’y distinguer une véritable stratégie de communication politique puisque ces mouvements naissent d’une réaction. Ils partent donc d’un certain « flair » quant à l’état de l’opinion et se font par la communication. 

Le Front de Gauche utilise déjà cette façon de procéder qui consiste à capter une émotion pour en faire un mouvement ou un sujet fort, il n’y a rien de nouveau dans tout ça. Les Verts ont un positionnement un peu plus complexe sur l’échiquier politique à gauche, on ne peut pas les comparer totalement à Podemos ou Syrizia.

« Proportionnellement à la population espagnole, Podemos dispose de 6 fois plus d’abonnés Twitter que le PS, 22 fois plus que le front de gauche et 38 fois plus que Nouvelle Donne. »

Cyril Courson : Podemos et Syriza sont avant tout deux mouvements populaires voire populistes qui ont pour cheval de bataille la fin de l’austérité, la renégociation de la dette et la régénération de la classe politique. Leurs pays sont dans des situations économiques et sociales bien plus délicates que ce que l’on peut connaitre en France.

Ces mouvements et particulièrement Podemos, sont faiblement institutionnalisés, par conséquent n’ont pas accès aux mêmes ressources que les partis classiques. Ils doivent donc s’adapter et pour ce faire investissent la rue et internet notamment les réseaux sociaux où ils sont très mobilisés. Proportionnellement à la population espagnole, Podemos dispose de 6 fois plus d’abonnés Twitter que le PS, 22 fois plus que le front de gauche et 38 fois plus que Nouvelle Donne.

A la différence des Verts ou du Front de Gauche, Podemos et Syriza arrivent à capter et mobiliser massivement les voix contestataires alors qu’en France c’est le Front national qui en est le réceptacle. Au-delà de la communication, une des explications de cette différence est que la Grèce avec Papadópoulos et l’Espagne avec Franco ont une expérience beaucoup plus récente de dictatures de droite, ce qui a laissé des traces dans les mémoires. 

Pierre Larrouturou, fondateur de Nouvelle Donne.
Pierre Larrouturou, fondateur de Nouvelle Donne.

Que penser de la communication digitale de Nouvelle Donne, qui se démarque sur la toile comme un des partis à la gauche de la gauche qui a le plus dépoussiéré sa communication ? 

Julien Peres : Si l’on s’attache à la communication digitale de Nouvelle Donne durant les européennes 2014 celle-ci sert plutôt une image que du contenu, c’est un « Brand content » sans message. Quand vous regardez leurs clips vidéos, vous avez du mal à voir en quoi le parti se veut différent. Quel est le message ? En quoi Nouvelle Donne se démarque dans les idées de fond ?

C’est dangereux car le marketing numérique a été saturé ces dernières années par des actions qui n’avaient vocation qu’à être vues, qu’à « buzzer ». Depuis un an ou deux la publicité revient aux fondamentaux en faisant primer le contenu, c’est essentiel et sain. Il ne faudrait pas que la communication politique qui a toujours un petit temps de retard sur le marketing classique se mette désormais à faire une communication « d’absence de contenu » parce que cela viendrait à donner faussement une image plus jeune. Ce n’est pas ce que l’on demande à des décideurs, la politique souffre déjà d’un manque d’idées.

« Il ne faudrait pas que la communication politique qui a toujours un petit temps de retard sur le marketing classique se mette désormais à faire une communication « d’absence de contenu » »

Cyril Courson : Issu du Collectif Roosevelt et créé fin novembre 2013, Nouvelle Donne s’est donné pour mission de  renouveler les pratiques démocratiques et d’instaurer une démocratie participative basée sur l’affirmation de Vaclav Havel, selon laquelle « chacun de nous peut changer le monde ». Le citoyen deviendrait donc un acteur central de la chose publique.

Durant les dernières élections européennes, Nouvelle Donne a fait preuve d’audace et d’originalité dans sa communication notamment avec des vidéos décalées qui avaient pour objectif de mobiliser les citoyens sur l’enjeu européen. Elles ont très bien fonctionné d’un point de vue marketing et ont été très reprises dans les médias mais n’ont pas eu l’effet escompté dans les urnes puisque le parti a récolté seulement 3% des suffrages.

L’engouement médiatique et populaire autour de ce jeune mouvement semble s’estomper aujourd’hui. La difficulté lors des prochains scrutins et notamment lors des élections départementales, va être de démontrer que Nouvelle donne est plus qu’une marque ou une image et qu’il représente une véritable alternative pour les citoyens.

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Difficile de faire entendre sa voix dans le cadre des départementales qui ne passionnent pas les électeurs. Quelle initiative a retenu votre attention pendant cette campagne ? 

Julien Peres : Les départementales 2015 sont d’une pauvreté absolue. L’absence de budget et le fait qu’il s’agisse d’une campagne locale avec l’introduction d’un binôme ne fait pas du tout recette, il s’agit avant tout d’un problème de génération qui plus est dans le numérique. Les conseils départementaux sont les exécutifs locaux où la moyenne d’âge est la plus âgée, on est donc face à des élus qui ni ne maîtrisent ni ne veulent maitriser cet aspect. 

À court terme les élus au niveau local pensent encore trop souvent qu’éviter le numérique est bon calcul, car moins chronophage. À long terme c’est dommage car ce sont des mandats concrets où il s’agirait de capitaliser sur l’engagement et la visibilité offerte durant la campagne pour dynamiser leurs outils et s’en servir (comme élu ou comme simple citoyen en cas d’échec) pour montrer leur implication au quotidien.

C’est assez paradoxal : la classe politique se plaint du désintéressement à son égard mais elle ne saisit pas les périodes où elle peut capter cet intérêt. Surtout sur les réseaux sociaux où un abonné acquis en période de campagne devient ensuite attentif à l’action de l’élu et à ses engagements. 

« Les conseils départementaux sont les exécutifs locaux où la moyenne d’âge est la plus âgée, on est donc face à des élus qui ni ne maîtrisent ni ne veulent maitriser cet aspect. »

Cyril Courson : Aucune! Les différentes campagnes pour les élections départementale 2015 sont d’un ennui sans nom, elles sont très pauvres voire inexistantes en termes de communication. D’ailleurs les électeurs ne s’y trompent pas, selon le dernier sondage IFOP, seuls 43 % d’entre eux ont l’intention de se déplacer pour aller voter le 22 mars. Parmi ces 43%, 31% invoquent une méconnaissance des candidats et 25% une ignorance des compétences des conseils départementaux. Ces chiffres parlent d’eux-mêmes, le déficit de communication est flagrant.

D’un côté, vous avez les candidats de gauche qui ont conscience de la déroute inéluctable qui va avoir lieu et qui par conséquent n’ont pas réellement investi pour réaliser une campagne digne de ce nom. Et de l’autre, les candidats de la droite et du centre ainsi que de l’extrême droite savent que ces élections vont automatiquement leur bénéficier donc privilégient une campagne classique de terrain avec des réunions publiques et des tractages.

Au niveau de la communication digitale, c’est le minimum syndical ! Des pages Facebook et des comptes Twitter ont été créés, quelques vidéos réalisées  mais dans l’ensemble aucune initiative numérique interactive n’a été prise pour présenter les projets, expliquer les enjeux de cette élection et inciter les citoyens à voter. 

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