Les municipales… au Canada : rencontre avec le plus jeune maire du pays.

En mai 2012, François Hollande n’était pas le seul à être élu. Le 14 mai, de l’autre côté de l’Atlantique, le village de Maisonnette, dans la province du Nouveau-Brunswick, élisait le plus jeune maire du Canada. A 19 ans, Jason Godin a accédé à la mairie de ce village de 600 habitants, où l’on parle en majorité français canadien.
Interview exclusive (sans l’accent).

Être jeune en politique

10002841_10200934775486181_1112244735_nAvant de devenir maire, tu as déjà eu des expériences « politiques » ?
Oui, j’étais président du conseil étudiant dans le primaire (au collège) et le secondaire  (au  lycée). Je me suis beaucoup impliqué dans les conseils d’administration. En fait je suis un peu hyperactif, j’aime bien remplir mon agenda, et j’ai toujours été habitué à cela. En première année universitaire je m’ennuyais un peu, j’avais un peu de mal à seulement étudier, sans m’engager. J’ai donc décidé de me présenter aux élections municipales.


Justement, comment s’est déroulée ta campagne ?
J’ai fait du porte-à-porte, car je voulais une campagne sous forme de concertation et de consultation. Je notais les idées des habitants. Et je pense que nous sommes en train de remplir nos objectifs.
 Nous avons par exemple ouvert une structure médicale. Et aussi un parc pour enfants.


Tu es affilié à un parti ?
Non. Au niveau de la commune, on parle de « gouvernance locale ». Ce n’est pas comme au niveau provincial ou fédéral, où il faut dépendre d’un parti. En fait, Maisonnette dépend de la majorité en place au niveau provincial : si j’étais affilié au parti qui n’a pas la majorité au Nouveau-Brunswick (les libéraux actuellement), je n’aurais pas eu de subventions pour refaire la route juste à côté. Donc je reste apolitique. Ou plutôt je suis pour le parti au pouvoir !

Malgré cela, est-ce que tu considères que tu fais de la politique ?
Oui, même si c’est à une plus petite échelle. Car comme en politique, il s’agit de connaître les bonnes personnes, de faire du « lobbying », etc.

Qu’est-ce que ça a changé pour toi d’être maire, dans ta vie quotidienne ?
J’ai beaucoup appris. On était tous nouveaux au Conseil municipal. Il a donc fallu apprendre à se débrouiller. 
Mais en ce qui concerne mes loisirs et le temps passé avec mes amis, il n’y a aucune différence majeure. Je n’ai pas arrêté de sortir !

Quelles sont tes études ? Arrives-tu à les concilier avec ton mandat ?


Je suis en train de passer un baccalauréat (équivalent de la licence, mais en quatre ans) puis je ferai une maîtrise en droit pour devenir avocat. En fait, mes résultats à l’université sont fonction de mon niveau d’engagement. J’ai toujours beaucoup de choses à faire, et cela crée en moi une adrénaline qui m’empêche de « procrastiner. » Et puis mes études ne me prennent pas trop de temps.

Tu te vois faire une « carrière » politique ?
Je vais déjà finir mon mandat de quatre ans. Mais je ne me rep1579812_10200934798366753_1625505615_nrésenterai probablement pas puisque je devrai déménager pour faire ma maîtrise. Je verrai. Je saisis les opportunités quand elles se présentent mais je n’ai pas d’objectifs en ce qui concerne une « carrière » politique.

Être jeune, tu penses que c’est un atout en politique ?


Oui, les politiciens apprécient cela car ils s’inquiètent pour la relève. C’est inhabituel de voir un maire si jeune, donc ils ont envie de me rencontrer et ils encouragent la jeunesse : cela leur donne une bonne image. Et pour moi c’est un avantage, car ils se souviennent de moi.

Tu penses que les jeunes sont intéressés par la politique ?
Le fait que je sois maire a intéressé des jeunes autour de moi qui ne l’étaient pas au départ. Cela a donné envie à certains de s’engager. Sinon, la politique n’est pas ce qu’il y a de plus « palpitant », d’autant que les gouvernements sont au cœur de scandales en ce moment : on a les sorties du maire de Toronto, mais aussi l’impopularité au niveau provincial des conservateurs, car la province est très endettée.

En France, on parle souvent d’un fossé entre les citoyens et les hommes politiques. Ici aussi ?
La situation n’est pas facile, on est encore en récession mais c’est moins grave que chez vous je pense. Alors oui il y a de l’abstention, surtout dans les grandes villes comme Montréal. Mais très peu dans ma commune, car c’est à une petite échelle : je suis dans la proximité avec les gens que je représente. Le renouvellement, le dialogue et le fait qu’on tienne nos promesses sont appréciés par les gens.

Le rapport à la France et à la francophonie


En tant que francophone, tu t’intéresses à la vie politique française ?
Je ne suis pas trop ce qu’il se passe à l’international, en dehors des gros titres. Je sais qu’il y a eu des élections l’année dernière chez vous…
Il y avait Sarkozy mais aujourd’hui… François ? François comment ? J’ai un trou de mémoire…

François Hollande.
Ah oui je m’en souviens.

Et tu penses que c’est important de défendre la francophonie ici ?
Oui, on forme une Nation ici. Il faut le défendre. Je suis fier d’être Acadien. Et je ne pense pas que le feu sacré pour l’Acadie s’éteindra. (L’Acadie est une région au sens culturel située sur la côte est du Canada, qui recouvre les provinces du Nouveau Brunswick, de la Nouvelle-Ecosse, de Terre-Neuve-et-Labrador et l’Île-du-Prince-Edouard. Les Acadiens sont en majorité francophones).

Tu parles aussi anglais ?
Oui, ici, on n’a pas le choix. Nous sommes la seule province du Canada officiellement bilingue.

Tu es déjà venu en France ?
Non, jamais. Mais je compte aller en Angleterre l’été prochain et faire une escale en France.

Chez nous l’université est quasiment gratuite, ou à Sciences Po Paris cela dépend des revenus. Et ici ?
Gratuite ? Vraiment ? Si j’étudiais en France je ferais des économies alors ! Car je paie 6.000 dollars par an pour les frais de scolarité fixes, hors logement, livres, transports. 60.000 dollars,  c’est le prix d’un baccalauréat (licence) ; 100.000 dollars, c’est le prix d’une maîtrise. Quel que soit le revenu. Mais cela dépend des universités.

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La politique canadienne


La parité en politique, ça existe au Canada ?
Nous n’avons pas cela ici. Dans notre conseil municipal, nous avons une seule femme et quatre hommes. Il n’y a pas d’obligation non plus pour les élections provinciales. 
Je pense que ce n’est pas au gouvernement de réglementer ça. Et femme ou homme, cela ne fait aucune différence. C’est seulement une question de compétences.

Et la laïcité ? Il y a au Canada ce que l’on appelle les « accommodements raisonnables » (fait de satisfaire les demandes à caractère religieux)…
J’applique la laïcité, c’est-à-dire que la religion n’a pas sa place. Je gère une municipalité, pas une paroisse, même si ici il y a beaucoup de gens âgés qui sont croyants. Quant aux « accommodements raisonnables », ils sont en vigueur au Québec par exemple. Mais je n’y suis pas favorable. C’est un sujet brûlant car il y a de plus en plus d’étrangers qui arrivent, et donc des religions nouvelles. Au Nouveau-Brunswick, on a notre façon de faire, et les nouveaux arrivants doivent s’accommoder et s’adapter. Ce qui n’empêche pas d’être ouvert et inclusif.

Entretien réalisé le 14 août 2013.

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Pour approfondir :

-sur le village de Maisonnette : http://fr.wikipedia.org/wiki/Maisonnette
-sur la province du Nouveau-Brunswick : http://lemonde.fr/voyage/article/2011/09/01/immersion-sauvage-au-nouveau-brunswick_1540711_3546.html?xtmc=nouveau_brunswick&xtcr=14
-sur l’Acadie et les Acadiens : http://www.peninsuleacadienne.ca/fr/decouvrez/culture-acadienne/acadie-et-les-acadiens