Loin des montagnes et des maisons rougies (1)

On ne dort plus tranquille au pays de la vieille Damas. Le 11 mars célébrait tristement les trois ans du conflit. Complot occidental ou israélite, guerre civile, poussée islamiste. Les noms n’ont pas manqué dans les journaux. Mais aucun n’a été capable de me renseigner sur ce qui se passait vraiment en terre syrienne et aux frontières.

Je n’avais rien compris aux attaques aux gaz de Damas. Je n’avais rien compris à la frontière poreuse du nord où on applique la Chariah. Je n’avais rien compris à la position américaine, qui croisait les bras quand elle avait dit qu’elle débarquerait avec ses GI’s. Je n’avais rien compris à Genève 1.

Je n’avais rien compris. Un soir j’ai rencontré Manon, une fille de mon lycée, ancienne expat’ à Damas. On parle de Bachar. Elle le soutient fermement. Alors je décide d’essayer de comprendre.
C’est pour pouvoir prendre position que j’ai décidé de rencontrer les syriens de Paris. Les critiques envers la diaspora ne manquent pas. Elle aussi, elle est loin des combats. Elle est pourtant la voix des familles restées au pays.
Série de portraits et récit d’une aventure.

PORTRAIT UN : UNE JEUNE ÉTUDIANTE EN DROIT

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Logo de l’association Syrian Friends, and Paris.

Mercredi d’octobre à Saint-Michel. A*** porte à même la peau sa lutte : son bracelet noir, vert, blanc, marqué d’étoiles rouges affiche son combat. La famille de sa mère est en Syrie. Elle habite Paris depuis toujours. Elle fait partie de l’association humanitaire Syrians, Friends and Paris, qui a organisé par exemple une collecte de vêtements pour la Syrie cet hiver.

En 2011, elle porte soutien au combat de sa famille dans la révolte contre le régime de Bachar. Elle appartient au collectif des syriens d’Europe sur Facebook, qui présente chaque jour les exactions d’un régime insupportable, vidéos sanglantes à l’appui.

Elle s’est tout de suite mobilisée, A***. La crise syrienne a touché directement sa famille. Elle commence le récit de la tragédie qui se déroule dans ce pays depuis plus de deux ans. Tout commence à Dera. En mars 2011, des murs de la ville sont tagués de slogans révolutionnaires par des enfants. Enlevés, torturés, certains seraient même morts. Des manifestations pacifiques pour l’appel à la démocratie après plus de quarante ans de régime Assad sont reçues par les balles de l’armée.

A*** m’explique alors la folie du régime qu’elle dénonce commence. Et rappelle la répression de la révolte des Frères Musulmans contre Hafez El-Assad à Hama en 1982 [qui fera entre 10 000 et 40 000 morts selon les sources]. Elle touche ses proches. Son cousin de seize ans publie un statut sur Facebook soutenant les marches dans le pays. Il est arrêté. Son père également. Ils apprendront un an et demi plus tard leur décès, après s’être rendus à la prison.

A*** me dépeint alors le régime de Bachar El-Assad. C’est celui de la dictature où une même famille contrôle l’ensemble de la vie politique depuis 1970. L’isoloir est surveillé et le vote rudement orienté : l’électeur a le choix entre le « oui » et le « non ». Les taux d’élection proches de 98% ne sont pas rares [97.62% à l’élection présidentielle de 2007]. C’est également celui du culte de la personnalité. Les portraits de Bachar El-Assad couvrent les murs de Damas. On ne critique pas le gouvernement. A*** me parle une fois encore de sa famille. Son cousin va à l’université. La tension serait montée entre pro et anti. La police aurait nerveusement intervenu. Son cousin aurait alors dû admettre qu’ « il n’y a de Dieu que Bachar El-Assad » : au sentiment de trahison s’ajouterait celui du blasphème [la Chahada, c’est-à-dire la reconnaissance d’Allah comme divinité unique, constitue la profession de foi, un des cinq piliers de l’islam].

Damas.
Damas.

Cette révolution, c’est celle de l’agonie d’un peuple. Dans les camps de réfugiés jordaniens, libanais, turcs. Dans le quartier est de Damas après les attaques chimiques [le quartier chrétien est mitoyen avec la banlieue de Damas, QG important de l’Armée Syrienne Libre]. C’est celle des faux espoirs aussi. Les Etats-Unis n’ont jamais donné les armes promises à l’ASL. Et si il y a eu réaction lors des attaques chimiques, ce n’est pas pour les rebelles syriens, mais bien pour protéger Israël –car qui sait aux mains de qui peuvent tomber ces armes, si la guerre civile finit-.

A*** n’a pas peur de parler des menaces qui guettent l’ASL. Les djihadistes ont effectivement envahi les effectifs des rebelles. La diplomatie des droits de l’homme a une action à géométrie trop variable et contribue à la radicalisation de la contestation sur le terrain. Mais il y a aussi une part de fantasme selon elle : car qui pourrait vraiment croire à un « djihad du sexe », totalement absurde dans le lexique de l’islam ? [des Tunisiennes viendraient en Syrie assouvir les besoins sexuels des djihadistes salafistes]

A*** n’a pas perdu espoir. Elle est fatiguée. Pour elle, le départ de Bachar el-Assad est certain. Mais jusque quand va-t-il falloir tenir ? « Dix ans » d’après son grand-père. Mais comment le peuple syrien en sortira-t-il ?