Le redoublement à Sciences Po : parlons-en

2, 3, 5, 10 ou 25% ? Faites vos jeux ! A Sciences Po, lorsqu’on parle du taux de redoublement, chacun a son idée. L’ordre de grandeur supposé de ce phénomène varie au gré des expériences et des rencontres. Et si les chiffres avancés sont aussi divers, c’est parce que Sciences Po ne les communique pas publiquement. Certains pensent alors qu’il s’agit d’un phénomène de grande ampleur que Sciences Po tente de dissimuler. Pour mettre tout le monde d’accord, La Péniche a mené l’enquête.

Le redoublement, une spécificité française

Pour comprendre ce phénomène lié à l’IEP de Paris, il faut d’abord se rendre compte de la place et de la perception du redoublement dans le système scolaire français. Quand on se penche sur les statistiques, il apparait rapidement qu’il s’agit d’une pratique plutôt répandue dans l’enseignement primaire, puisque 24 % des élèves de troisième ont déjà redoublé ( source : Ministère de l’Éducation Nationale ). Ce chiffre était même de 46% il y a 20 ans.

24% des élèves de troisième ont déjà redoublé. ( source = Ministère de l’Éducation Nationale )

Pourtant, il semblerait que qualifier le redoublement de banal soit abusif. En effet, ce n’est absolument pas comme tel qu’il est perçu. D’après les résultats d’une enquête menée par le ministère de l’éducation nationale auprès des collégiens et lycéens en 2014, il apparait que 77% des élèves auraient peur de décevoir leurs parents s’ls redoublaient. Plus problématique encore, 54% des redoublants considèrent qu’un tel événement diminue la confiance en soi, et 56% pensent qu’il démotive un élève.

Dans l’enseignement supérieur, le redoublement semble encore plus courant, notamment en première année. Dans les filières générales à l’université, il concerne un peu plus d’un quart des élèves (tandis que près d’un tiers abandonne). S’il n’existe pas d’étude sur la perception du redoublement dans le supérieur, on peut imaginer que le faible taux de passage en seconde année ( il est de 41% ) rend le redoublement moins stigmatisant.

Et à Sciences Po, quels chiffres ?

Mais qu’en est-il à Sciences Po ? Le fait que ces chiffres ne soient pas disponibles sur le site de Sciences Po alimente un certain nombre de fantasmes. En effet, si Sciences Po communique largement les chiffres concernant le concours d’entrée, ceux relatifs au déroulement de la scolarité une fois admis au Collège Universitaire sont plus rares.

Nous avons donc sollicité le service de la scolarité, qui nous a fourni les chiffres suivants. Il y a, en moyenne à Sciences Po, entre 2 et 3% de redoublants lors des 2 premières années du Collège U. Pour les amoureux de la précision, il y a eu l’année dernière 2,4% de redoublants en première année, soit 43 élèves sur une promotion de 1816 personnes, et 1,3% en seconde année. Le redoublement apparait donc comme un phénomène relativement peu important à Sciences Po, en particulier si on le compare à l’ampleur du redoublement en première année à l’université.

En 2017, 2,4% de redoublants en 1ère année ( source = Service de la Scolarité )

Mais au-delà des statistiques, cela représente chaque année une quarantaine d’élèves dans chaque promotion. Tous les ans, ils sont donc nombreux à vivre cet évènement qui n’est jamais anodin. Nous avons décidé de les interroger afin de comprendre la manière dont ce redoublement est perçu par les principaux intéressés.

Parole aux redoublants !

Ce qui apparaît assez rapidement, c’est qu’il n’existe pas un portrait type du redoublant. Au contraire, on retrouve une grande diversité dans les parcours. Si ce redoublement arrive parfois à la suite d’un « choix délibéré » de se consacrer un temps à autre chose que ses études, il est le plus souvent subi. Quand celui-ci intervient à la suite d’une année où les problèmes de santés ou personnels ont empêché un déroulement dans de bonnes conditions de la scolarité, il apparaît souvent comme une seconde chance pour repartir sur de bonnes bases.

En revanche, en ce qui concerne les personnes redoublantes à cause de résultats scolaires insuffisants, si certains ne l’ont « pas trop mal pris » car ils estimaient qu’ils n’avaient pas assez travaillé et qu’ils manquaient de maturité, la réception du mail leur indiquant qu’il « sont admis à redoubler » est pour la plupart un moment difficile. Le fait qu’il s’agisse souvent d’élèves n’ayant jamais été confrontés à l’échec scolaire au cours de leur scolarité primaire et secondaire rend la difficulté à accepter cette décision encore plus importante. En effet, la plupart ont envisagé le fait d’arrêter Sciences Po, même s’ils ont rapidement balayé cet alternative du fait des efforts qu’ils avaient consentis pour y entrer.

Les personnes avec qui nous avons discuté ont, pour la majorité d’entre elles, redoublé leur 1A. Ce redoublement est majoritairement dû à une difficulté à s’intégrer et à surmonter la charge de travail du premier semestre et/ou des échecs dans les matières économiques dus la plupart du temps à des faiblesses en mathématiques. Ce redoublement pour raisons scolaires est particulièrement difficile à accepter lorsque l’élève est tout proche du passage en conditionnelle ( passage au niveau supérieur avec obligation de rattraper certaines matières non validées au cours de l’année ), ou qu’il est défaillant à cause d’une absence à l’examen indépendante de sa volonté.

Quels rapports avec l’administration ?

Nombreux sont les redoublants qui soulignent les problèmes rencontrés dans leurs rapports avec l’administration, qu’il s’agisse d’un manque de tact dans l’accompagnement, d’informations qui tardent à venir ou d’une coordination défaillante entre les services qui leur a parfois donné de faux espoirs sur leur admission dans la classe supérieure. Concernant la perception après coup de ce redoublement, si certains estiment qu’il s’agissait « sans aucun doute de la meilleur solution », d’autres sont plus sceptiques. Ils évoquent ainsi l’impression de « perdre son temps », la difficulté liée au fait de voir ses amis avancer alors qu’ils ont la sensation de faire du surplace, et le sentiment de ne plus avoir de joker, puisqu’on ne peut pas redoubler deux fois à Sciences Po.

Cependant, il apparait que pour la quasi-totalité des personnes interrogées les résultats lors de l’année redoublée ont été bien meilleurs qu’initialement. Il s’agit bien sûr d’une perception tronquée, car nous n’avons eu que l’occasion d’interroger des personnes ayant réussi à continuer leur scolarité à Sciences Po par la suite.

Mais les chiffres fournis par la direction de la scolarité semblent aller dans le même sens, puisqu’ils indiquent qu’entre 80 et 90% des redoublants parviennent à accéder à la classe supérieure.