Revue Ciné: Semaine N°6

Retour de la Revue Ciné, après deux semaines d’absence, nos rédacteurs étant de fait bien trop snobs pour avouer avoir aimé le dernier James Bond… Au programme cette semaine, Argo, thriller musclé au vendeur sous-titre « tiré d’une histoire vraie déclassifiée », et Augustine, drame psychologique sur fond d’expériences médicales.

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Yankee Bravo

Argo, de Ben Affleck

Le 4 novembre 1979, les Etats-Unis refusant toujours d’extrader le shah d’Iran accueilli après sa chute, l’ambassade américaine à Téhéran est prise d’assaut. La longue crise iranienne des otages débute. Dans ce film mi-drame, mi-thriller, c’est pourtant la petite histoire qui rencontre la grande.

Le fait est méconnu mais bien réel : six employés de l’ambassade américaine ont pris la fuite, recherchés dans tout Téhéran, risquant l’exécution publique. Pendant les deux heures du film, la tension est palpable, l’anxiété omniprésente. Sur les acteurs les plans sont serrés, les mains du spectateur sont moites. Pour rapatrier les fuyards, la CIA échafaude un plan. Le temps est compté, les exécutions et les fouilles régulières, le pays assiégé par les soldats de l’Ayatollah. L’agent Mendez, chargé de l’affaire, compte ramener ses compatriotes en les faisant passer pour une équipe de tournage canadienne. Ils seraient en repérage pour produire un film de science-fiction : Argo.

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La mission semble impossible, les circonstances insupportables. Ben Afflek signe ici un chef d’œuvre de suspense. Peut-être le film va-t-il trop loin dans l’enchaînement des retardements, mais le sort des six américains nous tient en haleine. Côté Etats-Unis, on est happé par ce que l’on voit des limites du politique, l’insolubilité entre la vengeance et la diplomatie. On voit aussi l’utilisation des médias où le rôle de la CIA, celui des hommes de l’ombre, de ces décisions secrètes qui font l’histoire. Les crises exceptionnelles semblent nous révéler un peu de l’âme des sociétés.

Face à la brutalité, on réalise aussi des aspects fascinants de l’humanité, au pied du mur. Dans la tourmente nous voyons tout : la foule endoctrinée, bestiale, la peur insoutenable, la fraternité et la fureur de vivre. L’agent Mendez brille d’un héroïsme obscur et épate de sang froid. La courageuse complicité du Canada, celle de ténors d’Hollywood ou d’une gouvernante iranienne n’ont rien d’anecdotiques, ils incarnent une vision de l’homme, de la justice.

Cette mission de la CIA est invraisemblable, elle a pourtant été rendue publique en 1997. Le traitement qui en est fait est époustouflant, fort et fiévreux. L’humanité montre ici ce qu’elle a de plus profond, le pire comme le meilleur, le spectateur retient son souffle, et de battre, nos cœurs pourraient s’arrêter.

Pierre-Yves Anglès

Voyage en eaux troubles

Augustine, d’Alice Winocour

Augustine a 19 ans à l’hiver 1855. Atteinte de crises dites d’hystérie, elle est hospitalisée – internée ?- à la Pitié Salpêtrière, au milieu de centaines d’autres jeunes femmes dans son cas. Toutes constituent l’objet d’étude du Professeur Charcot, qui cherche à élucider le mystère de l’hystérie féminine. Par la manifestation spectaculaire de ses crises, Augustine devient rapidement l’objet de toutes les attention de Charcot, son objet d’étude, jusqu’à en devenir son objet de désir.

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Face à ce film, on ne peut s’empêcher de faire le parallèle avec A Dangerous Method de Cronenberg, dépeignant les études de Freud sur une jeune femme hystérique qui devient sa maîtresse. Ne vous y méprenez pas cependant, les deux films sont bien différents. Ici, Winocour brosse le portrait du professeur Charcot, pionnier de la neurologie, et nous donne surtout une vision globale du phénomène à l’époque. Phénomène qu’est l’hystérie féminine, qui a porté pendant des siècles les femmes au bûcher, avant de les enfermer et les faire cobayes. A travers ce film, on comprend mieux comment étaient perçues et rejetées ces femmes « hystériques », quasiment traitées comme des putains du fait du caractère toujours sexuel de leurs crises. On nous montre comment le neurologue essaie de comprendre, à l’opposé de Freud, de manière biologique et clinique ces crises d’hystérie qui ne seraient que des symptômes d’un mal clinique, organique et jouant avec le système nerveux. Rats de laboratoire dans des corps de femme, on voit bien que ces femmes sont des cobayes, dont on provoque les crises devant l’Académie de Médecine pour justifier de l’avancée de l’étude.

Soit, c’était le mode de pensée et de fonctionnement de l’époque après tout. En revanche il aurait peut-être été bon de sortir de la romance et rappeler à la fin du film que dix ans plus tard, un médecin anglais étudiant l’hystérie et l’épilepsie entre autres chez les femmes inventa la clitoridectomie – vous savez, l’excision qu’on dénonce tant en Afrique, depuis notre Occident omniscient – et l’ovariectomie comme traitement à ce qui était vu comme de l’onanisme. Cependant, le film nous laisse entendre que Charcot aimait ces femmes, et voulait les soigner. Ce qu’il réussit à faire, d’une certaine manière. Messieurs, le mal ne vient peut-être pas d’une pièce en trop dans notre mécanique interne, mais peut-être d’un manque de liberté, d’une mise en cage – ou plutôt en corset. Winocour parvient ici à nous laisser entr’apercevoir le mal féminin du siècle, gardé bien au chaud sous une dizaine de couches de vêtements et de bien-pensance de l’époque..

En définitive, le film peut certes nous laisser un peu sur notre faim, mais n’est-ce pas l’effet recherché que de mettre en scène le désir ? Et puis, comment résister à Vincent Lindon, le tombeur de ces dames, bel acteur, et Soko, qui nous avait déjà séduits par sa voix et nous surprend ici par son jeu ?

Palmyre Bétrémieux