Sciences Po et les classements internationaux : je t’aime, moi non plus.

Sur les trois plus grands classements (Shangaï, Times Higher Education et QS World University Rankings), Sciences Po fait pâle figure. A la 214 ème place de QS World University Rankings et non classée au classement de Shangai et du Times Higher Education, l’école est loin derrière les grandes universités américaines et anglaises. En France, elle est systématiquement devancée par la Sorbonne Paris I, l’université Pierre et Marie Curie, Polytechnique et HEC. Même si les résultats sont bien meilleurs par domaines (20 ème en Politique et Etudes internationales), Sciences Po reste, à l’image du panorama universitaire français, le mal-aimé des classements internationaux. Nous avons cherché à comprendre cette bizarrerie.

LA SUBJECTIVITÉ DES CRITÈRES DE CLASSEMENT

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Source : AFP.

« Nous ne sommes pas dans le classement de Shangaï et nous n’y serons jamais », M. Verillaud, directeur de la DAIE.

En donnant de plus en plus d’emphase aux matières scientifiques dites « dures », le classement de Shangaï semble s’éloigner d’autant des portes de l’Institut. Car si un des critères centraux du classement chinois est le nombre de prix Nobels issus des universités en questions, c’est aussi celui qui exclue le plus les sciences sociales, les Nobels étant réservés aux matières scientifiques.
Plus englobant, le classement QS est nettement plus favorable à Sciences Po. Quatre principaux critères sont retenus : la notoriété auprès des universitaires et des employeurs, le taux d’encadrement des étudiants, le ratio d’étudiants internationaux et la qualité de la recherche (publications et citations des enseignants chercheurs dans les revues scientifiques prestigieuses). En dépit de scores honorables pour chacun d’entre eux, Sciences Po est largement pénalisé par la question de la recherche. Là encore, les explications ne sont pas a trouver du côté des lacunes des chercheurs mais bien dans la nature des critères de classement. Le corps enseignant de Sciences Po est largement constitué de vacataires, qui ne signent pas au nom de l’institut !

Il ne nous aura pas non plus échappé que l’hégémonie des universités anglaises et américaines dans les classements révèle un certain tropisme anglosaxon. Le classement, ça rapporte ! Par l’intermédiaire des ventes de journaux et de la communication bien sur, mais le classement a aussi une forte portée symbolique, notamment sur les investisseurs et les employeurs. Les universités anglosaxones ont tout intérêt à produire des classements qui mettent en avant leur modèle universitaire, ce qui se ressent dans les critères retenus (universités pluridisciplinaires, statut des enseignants). Dans les classements, il ne fait pas bon d’être européen.

LE RESSENTI DES ÉTUDIANTS INTERNATIONAUX : LE CLASSEMENT, EST-CE VRAIMENT IMPORTANT ?

Sciences Po, « Le Harvard du continent européen » (Lu, une étudiante chinoise en échange)

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Le classement de Shangaï, l’un des plus prestigieux classements internationaux.

Le choix d’une université est nécessairement une combinaison complexe de critères. Ce qui ressort, c’est surtout l’attraction de la ville et sa richesse historique, le large choix de cours dans les relations internationales et la science politique et surtout, un enseignement quasi bilingue extrêmement rare dans les autres universités françaises. Les classements ont donc « un rôle complémentaire », qui n’est pas forcément rédhibitoire. Car si on ne doit pas compter sur les classements pour encenser Sciences Po, le bouche à oreille reste le principal outil de communication de l’école. La référence a Sciences Po à l’international n’est de fait pas spontanée : « Quand on pense aux universités françaises, on pense principalement à la Sorbonne », nous confie une étudiante néo-zélandaise. Pourtant, l’école bénéficie d’une réputation certaine « parmi ceux qui connaissent ». Une étudiante chinoise en échange nous expliquait ainsi qu’après recherches sur le web, sa mère conclue : Sciences Po est le « Harvard du continent européen », notamment en raison des nombreux dirigeants qui en sont issus.

« Les grandes écoles c’est comme les étoiles, on les voit encore quand elles ne brillent plus. » (M. Vérillaud)

Si la comparaison internationale est complexe, c’est aussi en raison du format hybride de « grande école » à la française qui reste difficilement compréhensible par le monde international. Pour le directeur de la DAIE, ce n’est pas un obstacle mais un véritable outil modulable, à condition que les cursus restent lisibles.

QUELLES SOLUTIONS ? D’AUTRES OUTILS DE MESURE

 « Quand Sciences Po passe un programme de double diplôme avec Columbia, elle se créé une notoriété sans commune mesure avec ce qu’on pourrait attendre même des meilleurs classements ». (M. Vérillaud)

Francis Vérillaud, directeur de la DAIE.  Photo : Amal Ibraymi.
Francis Vérillaud, directeur de la DAIE.
Photo : Amal Ibraymi.

Face à la montée en puissance de ces classements, l’Union européenne a lancé son propre projet expérimental de classement « U- Multirank », qui devrait normalement être accessible à partir de cette année. Il propose une série de critères qualitatifs élargis, regroupant notamment les services d’accueil aux étudiants, la qualité pédagogique des cours, les solutions d’aides financières… La réplique européenne est aussi motivée par les effets économiques de la compétition des classements. Retombées économiques et symboliques dont se sont vite inquiétés les gouvernements européens.

Vaincre le venin par le venin est aussi une solution envisagée : Sciences Po peut-il élargir son champ d’études aux Sciences dures ? A son échelle, non. Les étudiants gisant dans les couloirs de la bibliothèque en témoigneront. Mais l’initiative a déjà été lancée par l’intermédiaire des doubles diplômes issus du regroupement Sciences Po – Sorbonne Paris Cité. Si les publications étaient amenées à être signées par les chercheurs de cette « unité », il ne fait aucun doute que l’IEP remonterait rapidement dans les classements.

En définitive, Sciences Po fait bien partie des « 300 premières universités », et c’est « déjà beaucoup » (M. Vérillaud). Mais le décalage entre sa notoriété française et internationale et la réalité des classements est indéniable. Même si l’impact des classements reste faible et que ce ne doit pas être la « ligne directrice » de l’école, on sent bien qu’en substance, les classements sont bien une épine dans le pied de Sciences Po.