Suppression de la LV3, les approximations de la réforme

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Photographie : Amal Ibraymi

Depuis la Commission Paritaire du 16 juin 2014 et une modification du Règlement de scolarité, l’accès à une deuxième langue vivante est possible pour tous. Cela était déjà permis dans les faits, mais restait inscrit dans les obligations de scolarité comme soumis à des conditions de niveau en LV1.  «  Cette revendication étudiante déjà ancienne nous a paru légitime », estime Françoise Mélonio, Directrice des Etudes et de la Scolarité. « C’est une véritable chance pour les élèves !

Une chance, que certains considèrent surtout comme un droit, et dont la reconnaissance ne justifie pas la suppression totale de la LV3 qui l’a suivie. En clair, si tous les étudiants peuvent désormais apprendre une LV2, l’accès à une LV3 est fermé à tous depuis la rentrée de septembre. Pour Enora Naour, présidente de l’UNEF, cette décision a été prise par la direction de manière « unilatérale, sans aucune justification ni préavis».

 

Une volonté de favoriser le travail personnel

Tout part d’un constat : les élèves du Collège Universitaire ne consacrent pas assez de temps à leur travail personnel pour approfondir leurs cours. Devant la nécessité de « continuer à proposer un enseignement pluridisciplinaire, et qui soit en même temps approfondi », Françoise Mélonio a souhaité mettre l’accent sur les matières dites principales, tout en soulignant ses « efforts pour ne pas augmenter le nombre d’heures de cours, qui est déjà  considérable à Sciences Po ».

La recette pour préserver « l’équilibre global » consiste alors à diminuer le poids des matières dites secondaires, afin de « libérer du temps pour le travail des étudiants ». Et la LV3 entre dans cette catégorie. Une suppression qui touche une vingtaine d’élèves du Collège Universitaire.

La direction reconnaît par ailleurs un problème d’organisation expliquant cette décision. Françoise Mélonio a en effet confié, lors de la Commission Paritaire du 16 juin dernier, que “ les cours de langue constituent un tiers des enseignements dans des conditions d’organisation difficiles “.  Selon Enora Naour, la direction a donc justifié la suppression de la LV3 par « des difficultés logistiques supplémentaires occasionnées par l’inscription de la LV2 dans les obligations de scolarité ». L’augmentation du nombre d’heures de langues révèle ainsi les difficultés de Sciences Po à « gérer l’offre des cours, mais aussi les ressources humaines », pointe Léo Castellote, représentant de l’UNI-MET.

 

 L’anglais, une priorité : un argument contestable

La suppression de la LV3 a aussi pour but de renforcer la place de l’anglais comme matière essentielle. Pour l’administration, son apprentissage est une priorité afin de permettre le départ des étudiants en  3A. Cette ambition de faire de l’anglais une priorité permet de combler une lacune caractéristique de l’enseignement supérieur français. En 2012, la France figurait à la 23e place du classement du Test d’anglais langues étrangères (Toefl) sur les 27 pays de l’Union Européenne.  

Cependant, la suppression de la LV3 ne semble pas être une mesure cohérente avec les objectifs que se fixe l‘école.Tout d’abord, la réduction du nombre de langues apprises au profit de l’anglais apparaît contradictoire avec l’internationalisation de l’école, qui constitue le pilier du projet « Sciences Po 2022 ». Elle favoriserait  plutôt son « anglicisation », si le nombre d’heures d’anglais avait augmenté. Mais ce n’est pas le cas : il est toujours de 2h par semaine en LV1. Or, si Sciences Po « n’a pas vocation à être une école de langues », Françoise Mélonio reconnaît elle-même que « deux heures par semaine, c’est tout à fait insuffisant pour progresser ».

 L’UNEF estime aussi que la suppression de la LV3 n’est pas cohérente avec l’obligation d’effectuer sa 3A à l’étranger. « Si cette année doit pouvoir être réalisée partout, y compris dans les pays non anglophones, la possibilité d’apprendre une langue rare en plus de ses deux premières langues vivantes est nécessaire », martèle Enora Naour. Ce à quoi Françoise Mélonio répond que les étudiants peuvent suivre les cours en anglais tout en apprenant la langue locale, sur place.

Pour Pierre, élève de première année, supprimer la LV3 ne semble pas la meilleure mesure pour favoriser l’insertion professionnelle. « A Sciences Po, j’ai choisi de continuer à apprendre l’anglais et l’italien, mes langues de lycée. Mais j’aimerais me présenter au Concours d’Orient du Quai d’Orsay, qui demande la maîtrise d’une langue rare. Je pensais que Sciences Po me donnerait les moyens d’atteindre pleinement mon objectif, mais avec la suppression de la LV3, ce n’est plus le cas”.

 

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Françoise Mélonio, Directrice des Etudes et de la Scolarité

 

Les alternatives pour apprendre une LV3

Les étudiants les plus désireux d’apprendre une troisième langue ont donc dû s’adapter. « On ne peut pas se permettre de perdre un an, même un semestre, déclare Pierre. Je me suis inscrit en swahili à l’INALCO. Ce n’est pas très cher, mais cela reste payant, et c’est surtout mal organisé

Face aux protestations des élèves, l’UNI-MET a justement proposé de développer le partenariat déjà existant entre Sciences Po et l’INALCO. L’idée est d’élargir le choix des langues proposées aux étudiants par l’organisme linguistique, qui accepte d’accueillir sans frais les élèves souhaitant apprendre une troisième langue . Mais discuter, voter, et mettre en place le projet risque de pendre du temps. Et Enora Naour rappelle qu’il s’agit pour elle d’une solution intermédiaire: “Sciences Po se décharge de ses responsabilités ».

 La direction songe à mettre en place une politique d’assouplissement permettant aux étudiants déjà bilingues de ne pas suivre de cours d’anglais, et d’apprendre ainsi deux autres langues.

Ces idées sont les bienvenues pour améliorer l’offre des langues à Sciences Po. Mais vont-elles assez loin pour satisfaire les revendications des étudiants? Près de 1000 d’entre eux ont déjà signé la pétition lancée par l’UNEF pour le rétablissement complet de la LV3.