LE MAG – Unreasonable Behaviour, un album somme toute très tranquille, et pas mauvais.

Il y a de ça quelques semaines, nos amis de Soundsystems ne manquaient pas de faire remarquer que le titre The Man With The Red Face, d’un certain Laurent Garnier, avait été promu au rang de « plus grand titre de dance music jamais réalisé », et son compositeur, ce bon Lolo comme aiment à le surnommer ses fans, de célébrer cette nomination par un set de la victoire tout aussi incroyable. Cette promotion ne manque pas, en effet, de mettre en lumière le talent d’un artiste encore méconnu du grand public, mais que l’on connaît de la scène « underground » jusqu’à celle des derniers night-club parisiens, comme la toute jeune Concrete où il a régulièrement eu l’occasion de jouer. Après 26 ans de carrière en tant que DJ et compositeur, Laurent Garnier n’en finit pas de prouver que les musiques électroniques ont une possibilité créative infinie, et que leurs influences sont extrêmement diverses et variées.

Il y a 3 ans, Julien Bremme a décidé d’écouter pour vous, au nom du Pôle Musical de La Péniche, l’album Unreasonable Behaviour de Laurent Garnier.

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Si The Man With The Red Face est désormais mondialement reconnu, il n’en demeure pas moins que l’album dont il est extrait, Unreasonable Behaviour, paru en 2000 sur le label F Communications, est encore mal connu. Il me tient donc à cœur de présenter cet album, pour moi l’un des plus impressionnant en termes d’influences, d’harmonie rythmique et de virtuosité de la composition. Convenons ainsi d’une chose pour ce voyage initiatique : je ne suis ni musicien, ni musicologue, ni même un technicien (ingénieur son et autres). Ce que je sais des musiques électroniques, je l’ai cherché, je m’en suis délecté depuis plusieurs années, et je continue à le faire. Parler d’artistes comme Laurent Garnier, c’est évoquer un talent, une histoire. Mais c’est pour moi avant tout parler de mes sentiments, des sensations d’écoute. C’est au-travers d’une déambulation nocturne parisienne que je t’entraîne cher lecteur, celle qui m’a permis de rédiger cet article. Au-travers de ce voyage, je vais tenter de t’initier à l’un des meilleurs albums que j’ai jamais pu écouter. Je tenterai de retranscrire pour le mieux mes sensations, et j’envisage d’éveiller tes sens à l’écoute de certains morceaux.

 

Petit guide pratique du Lolo

Mais tout d’abord, un topo technique s’impose. Laurent Garnier, c’est un fils de forains. Il est né en 1966 (je vous laisse faire le calcul quant à son âge), et s’est très tôt intéressé au Djing, puis à la composition. Il le dit lui-même, par dessus tout, il est un DJ. C’est un passionné de musiques, tous styles confondus. Son émission hebdomadaire It Is What It Is, sur le Mouv’, atteste d’ailleurs de cette vocation naturelle à l’éclectisme. La consécration ultime de son talent a été son concert donné à la salle Pleyel, en mars 2010.

Ainsi, entre jazz, musique classique, hip-hop ou nouveauté électronique, Laurent Garnier est un artiste qui ne se ferme jamais à aucune influence. En constante recherche d’innovation, d’amélioration, il est aujourd’hui considéré comme l’avant-gardiste de la French Touch, ainsi que de la démocratisation du mouvement underground, puis électronique, en France dès les années 1990.

D’où l’importance de la sortie de son quatrième album, Unreasonable Behaviour, en 2000. Célébré par la critique, il revient aux Inrock’ de déclarer « Mais, ailleurs, plus qu’aux jambes, c’est surtout à l’âme qu’il parle, dévoilant une partie de la sienne dans une sorte de strip-tease mental souvent émouvant. Mûre et adulte, sa techno ne censure pas sa mélancolie, sa nostalgie. L’album dans son intégralité restera comme un passionnant chef-d’œuvre de la techno, ce genre qui apprend à vieillir en beauté. ».

D’aucun considèreront cet album comme exclusivement techno, il est de mon point de vue un album qui transcende les genres et les influences. Véritable melting-pot électronique et harmonique, Unreasonable Behaviour est avant tout un album de synthèse. Riche en émotions, fort (j’oserais dire en chocolat) en talent brut, c’est un véritable parcours mental au cœur de ce qui fait la richesse des musiques électroniques.

 

Mais alors ça ressemble à quoi un album éclectico-romantico-révolutionnaire aux influences variées blablabla ?

Je répondrai tout simplement à cette critique quant à l’hermétisme dont j’ai peur de parfois faire preuve au cours de mon commentaire. Unreasonable Behaviour est un album très loin d’une écoute facile, dominicale, de gueule de quoi en fin de compte. De plus, hormis quelques morceaux, il n’est pas pour moi très dansant. En fait, je le trouve plus proche d’une écoute de salon, un gin-tonic en main et clope au bec que 2g/L au Rex Club à 4h du matin. En ce qui me concerne, j’en savoure chaque morceau, et je tente de les apprécier à leur juste valeur.

Commençons par City Sphere (étant donné que le morceau Warning ne fait que nous préparer à une longue écoute). C’est un morceau dont la structure introductive se rapproche, selon moi, de ce que faisaient certains maîtres du Blues, ou encore du jazz. Le départ est lent, mais le rythme assuré, varié. On est loin de la boucle assumée –que j’aime tout autant- qui caractérise un grand nombre de morceaux techno. Puis, à croire que l’envolée se fait tout au long de l’album, construit comme une seule et même structure, Forgotten Thoughts, résolumment plus acid techno, se veut être un big up à Carl Cox, Dj anglais et grand ami de Laurent Garnier.

Mais passons sur ces trois titres, qui sont à mon goût d’importance minime au vu de ce qui s’est fait au cœur de l’album, au faîte du voyage. J’ai emprunté la rue de Grenelle, et me voici arrivé sur l’esplanade des Invalides. La nuit est noire, mais Sound Of The Big Babou m’offre une lumière incroyable. Sa construction en 2 temps sur les basses en fait un morceau assez dansant, que Garnier n’hésite d’ailleurs pas à passer en festival. Les sonorités acid rajoutées le placent à la pointe de ce qui se faisait alors, mais tout en le laissant accessible à un public parfois tout juste initié à la techno music, ou qui était encore imprégné des clichés de la fête incontrôlable bourrée de jeunes ayant fait le plein de pilules bizarres. Pour certains, le Big Babou évoque leur jeunesse. Pour moi, c’est une transition, un pas en arrière dans la musique techno et l’acid house des années 1990, couplé à l’harmonie rythmique de la nouvelle forme de techno que son compositeur est en train de révolutionner.

Effectivement, le morceau portant le même nom que l’album, composé d’une légère saturation, comme une cassette passée en accéléré avec une voix robotique, confirme cette hypothèse (encore une fois à mon humble avis).

 

Une véritable transition entre deux époques

Je me suis jusque-là attardé sur le côté technique, voire un peu historique, des titres précédents. Le suivant est probablement mon préféré, parmi tous les morceaux que j’ai écouté dans ma vie. Il n’est plus seulement les Invalides la nuit, ou Montmartre, ou encore quelconque autre place, rue de Paris ou d’ailleurs la nuit. Il est tout cela à la fois. Je m’assoie sur un banc, et je l’écoute calmement, en me concentrant sur mes émotions, mon ressenti à cet instant précis. J’en oublie ma dissertation d’IP, cette jolie fille, et Cycles d’Oppositions m’avale.

 

 

A mon goût, le titre lui-même incarne ce que le morceau représente dans l’histoire de la musique électronique, ne serait-ce qu’en France. Un pied dans un mouvement, l’autre dans un autre plus mainstream, les deux s’opposant, deux époques ne se comprenant pas (« mais c’est du bruit, c’est pas de la musique »). Ici, Laurent Garnier entend réconcilier tout cela par un morceau techno mêlant tous les genres, mais également harmonieux, et surtout émotif. En ce qui me concerne, Cycles d’Oppositions c’est des souvenirs, des émotions, de la mélancolie du compositeur peut-être aussi.

Un tempo très rapide, presque de type jungle music, couplé à une mélodie extrêmement calme, font que le morceau est difficilement dansant, de par ses basses trop syncopées et s’enchaînant rapidement, mais aussi par une départ très progressif de la musique, avec de légers ajouts, réguliers, de couches sonores.

Un arrêt vers 2min35 marque l’immersion complète et profonde dans la « mélodie rythmique ». Il symbolise cette transition subtile entre un moment de calme voluptueux, et cette véritable envolée, très douce néanmoins, qui caractérise pour moi cette nouvelle vague techno annoncée. S’il s’inspire de différents styles de musiques, il n’en demeure pas moins que Cycles d’Opposition est avant tout un morceau quasi autodidacte. Il évolue seul, et se construit presque seul, avec des moyens exclusivement électroniques (synthétiseurs, ordinateurs etc). Une évolution qui termine assez brusquement, il faut le dire, et surtout par un grésillement assez incompréhensible, repris deux secondes après par une légère montée (une onde sonore travaillée au synthé).

 

Une suite de facture beaucoup plus classique (en termes de musique techno)

Cette suite s’incarne à mon avis dans le titre Dangerous Drive, où Garnier impose un style remarquablement plus sombre, plus « techno music ». On ne peut également pas oublier The Man With The Red Face, qui m’a inspiré cet article. Il est l’exception parmi cette « suite ». En efft, le départ d’inspiration jazz me fait fortement penser à un groupe que j’apprécie particulièrement, The Detroit Experiment, et à ce qu’ils font en mélangeant le jazz avec la musique électronique –un genre au dosage en soi très subtil et, s’il est aujourd’hui en pleine démocratisation, que peu d’artistes arrivent à très bien réaliser. TMWTRF (abrégé c’est tellement plus simple à écrire) consacre l’avènement d’un style plus accessible de techno, aux influences non moins nombreuses, adaptés aux dancefloors qui se développent dans les grandes villes d’Europe, et du Nord des Etats-Unis.

Je ne souhaite pas m’attarder cher lecteur sur les autres titres, qui, à mon goût, gravitent autour de Dangerous Drive, et de fait ne développent pas vraiment leur propre style.

Une légère exception peut être consentie cependant, avec Last Tribute From The 20th Century. Comme le suggère son nom, c’est un morceau qui, lui aussi, représente cette transition entre deux époques, entre différents styles, et entend les mêler afin d’en ressortir la substantifique moelle. « This is a tribute to New York, Detroit, and Chicago », autrement dit trois villes mythiques ayant vu naître les musiques électroniques. Chacune a sa spécialité quant au style qui s’y est développé : Garage house, techno, house music. Ainsi, Unreasonable Behaviour est un album témoin de son temps annonçant, et ce n’est pas surprenant lorsque ça vient du « papa de la techno en France », une évolution profonde de la scène des musiques électroniques dans les années à venir. Egalement, une transformation dans la manière de concevoir ces musiques, et en particulier la techno. Il s’agit d’un album portant des valeurs de la techno, se faisant son manifeste pour le XXIème siècle à venir.

J’espère t’avoir satisfait, lecteur, durant ce voyage initiatique à la techno music. Il me semble qu’au lieu de me faire le porte parole d’une techno industrielle, originaire de Detroit principalement, il me fallait avant toute chose proposer la découverte de sa forme plus évoluée, dont Laurent Garnier est un des initiateurs.

Sinon, il prend les platines du Rex Club pour un all night long, le dimanche 30 novembre.

 

https://www.youtube.com/watch?v=vqqEyMFnACk

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