Veni, Vidi, Moscovici est reparti

On aurait pu croire que Pierre Moscovici, au centre d’un scandale pour avoir été la cible d’un jeu “chamboule-tout” lors de la Fête de la Rose du PS, aurait remis en question sa carrière de Commissaire Européen aux affaires économiques et annulé la discussion de rentrée de la Conférence Olivaint. Il n’en est rien : il a débattu en Boutmy ce mercredi 12 septembre du futur de la social-démocratie dans l’Union Européenne.Arthur Moinet (responsable de la Conférence Olivaint à Sciences Po) et Pierre Moscovici le mercredi 12 septembre, photographie d’Ulysse Bellier

Un constat lucide de la social-démocratie en Europe

Au premier rang et sur l’estrade, voici les responsables de la Conférence Olivaint : le président Morgan Bougeard, la vice-présidente Marie Faverjon et Arthur Moinet, en charge de l’association à Sciences Po – qui est d’ailleurs membre du Conseil d’administration.

L’invité de la soirée, avenant comme à son habitude, s’apprête à défendre la social-démocratie à l’approche des élections de mai 2019 avant de répondre aux questions de la salle. Député PS, Ministre des Affaires Européennes sous Jospin, député européen, passage à Bercy et Commissaire Européen jusqu’en 2019, Moscovici semble le mieux placé pour défendre les résidus de socialisme dans l’UE.

Tout d’abord s’introduit un constat amer pour la social-démocratie : “Je me souviens de l’Europe rose, où les Premiers Ministres s’appelaient Tony Blair » regrette-t-il. Et de commenter sur les résultats du PS au niveau national. Pour Moscovici, les socialistes sont-ils responsables ou victimes collatérales de leur chute ? Le commissaire européen reconnaît que les socialistes n’ont pas été capables de distribuer les bénéfices, ni de gérer correctement la crise migratoire. Mais ils ont aussi souffert de ce que le Commissaire Européen appelle le “nationalisme light” – se rapprocher du nationalisme sous l’influence des autres tendances.

Moscovici, malgré un ton serein, ne cache pas son émotion : “ En 60 ans, notre continent a connu bien des crises. […] Mais d’une certaine manière, l’Europe, dans les crises, progresse. Pour la première fois, j’ai peur. Au-delà des populismes, il y a l’illibéralisme […] C’est la démocratie qui tue les libertés”.Pierre Moscovici sur l’estrade de l’amphithéâtre Boutmy, photographie d’Ulysse Bellier

Certes en opposition avec la démocratie illibérale, quelle vision de l’UE la social-démocratie défend-elle ?

Moscovici formule quatre piliers idéologiques : une démocratie ouverte, la promotion de la transparence, la lutte contre les inégalités et le combat contre le réchauffement climatique. D’ailleurs, pour financer des projets écologiques, il a proposé, “et ce sera discuté d’ici la fin de l’année, une taxe sur le chiffre d’affaire des grandes entreprises du numérique” . Pour lui, le socialisme, c’est renforcer la compétitivité de l’économie. Il se réjouit donc du CETA, mais aussi de la fin du programme d’aide à la Grèce acté le 20 août dernier.

Dans la même conception, il veut avant tout ériger la social-démocratie (un terme un peu daté, comme il le reconnaît lui-même) contre les europhobes : l’identité pro-européenne ne peut pas être séparée du socialisme, d’où son combat contre les dirigeants anti-européens. Ce même mercredi, rappelons que le Parlement a voté sous l’injonction de la Commission des sanctions contre la Hongrie, une décision importante au sein d’un PPE qui inclut les voix des partis eurosceptiques. “La politique de l’adversaire, c’est l’alternance. La politique de l’ennemi, c’est quand on veut vous détruire. Si l’on combat les libertés, on passe de la politique de l’adversaire à celle de l’ennemi” assène Moscovici.Pierre Moscovici à la tribune dans l’amphithéâtre Boutmy, photographie d’Ulysse Bellier

Des élections européennes historiques… et toujours le flou du côté des socialistes

Le Commissaire européen prévoit un chamboulement du paysage parlementaire et probablement une hausse de la participation dans ce qu’il voit comme l’enjeu le plus important depuis 1979. « Ne soyez pas les somnambules du XXIe siècle », prévient-il. Mais au sujet de ses volontés de candidature après 2019, on n’en saura pas plus.

Point délicat de la soirée, les réponses aux questions ont parfois frustré. Si son avis est clair sur plusieurs points (« Pour ou contre Dublin ? » « Contre »), Moscovici a à peine évoqué des solutions alternatives lorsque des projets sont bloqués au cours des procédures institutionnelles. Peu de nouvelles du côté des idées phares de sa politique fiscale, comme un budget et un ministre de la zone euro, ou encore l’Assiette Commune Consolidée pour l’Impôt sur les Sociétés, c’est-à-dire une assiette unique pour les entreprises dans l’UE pour éviter l’évasion fiscale. Des réponses parfois courtes et vagues, notamment sur le rôle de la jeunesse dans la construction européenne ou de l’insécurité culturelle. “Un Commissaire n’est pas un bureaucrate” déclare-t-il. Son expérience en atteste. Mais alors pourquoi s’exprimer aussi peu à propos des politiques visibles, ou encore des décisions du PS pour les élections à venir? Peut-être son intervention la veille sur France Inter était-elle moins prudente.

La conférence a donc apporté certaines réponses, mais si les intéressés souhaitent en apprendre davantage, sachez les élections européennes seront discutées à nouveau avec la conférence Olivaint jusqu’à la fin du mois de décembre. A bon entendeur, salut.

Aude Dejaifve